Fantasia 2020 [ Première partie ]
ÉVÈNEMENT
[ Les Documentaires ]
Derrière
l’image
texte
Luc Chaput
Dans le nord du Mexique à Tijuana, sur un boulevard, des lutteurs attendent la lumière rouge. Ils présentent alors un court combat et ramassent ensuite une obole de certains automobilistes. Un d’entre eux est l’acteur David Arquette qui s’est astreint à un entraînement pour devenir finalement le lutteur qu’il a toujours voulu être.
Au cinéma Impérial, dans les premières années de ce festival maintenant âgé de 24 ans, il y eut des présentations festives de films de fiction mexicains mettant en vedette ces luchadores. Ce portait du comédien, surtout connu pour sa participation à la télésérie « Scream » et frère cadet de Rosanna et Patricia qui posent elles un regard plus critique sur le monde du show-biz, décrit l’itinéraire de rédemption entrepris de 2018 à 2020 afin de reconquérir l’estime des fans et du milieu de la lutte après son gain décrié d’un titre de champion lors de la tournée publicitaire en 2000 pour le film Ready to Rumble. Réalisé par James Price et David Darg, You Cannot Kill David Arquette garde l’empreinte de Christina McLarty, la productrice et épouse d’Arquette. Le côté scénarisé de ses combats de lutte est aussi mis en évidence dans certains épisodes mais les accidents y sont monnaie courante dans ce circuit aux divers risques pour sa santé suscités par ces performances athlétiques à laquelle David se confronte à grand renfort de dépenses pécuniaires et de rencontres douteuses. Le long métrage illustre également plusieurs points de rencontre entre des personnalités et le milieu plus populaire et épisodiquement encadré de ce sport charriant des archétypes théâtraux.
Le chanteur à la voix étonnante et à la présence tout aussi intrigante qui fut Tiny Tim a droit à un biographie filmée de Johan von Sydow, Tiny Tim – King for a Day. Le réalisateur reprend des informations déjà données dans le livre de Justin Martell, également producteur de ce film suédois. La complexité du personnage et la divergence entre personnalité publique et privée d’Herbert Butros Khaury décédé en 1996 est mise en lumière par des extraits de son journal intime ainsi que par des séquences d’animation en noir en blanc qui tranchent avec le côté kitsch de plusieurs scènes télé dont le fameux mariage en direct le 17 décembre 1969 dans l’émission « The Tonight Show » animée par Johnny Carson.
Le mouvement raélien a connu une grande perte de crédibilité dans les dernières années au Québec surtout après le coup publicitaire fumant du clonage humain et le passage de son guru Raël, à l’émission télé Tout le monde en parle en 2004. C’est donc avec un intérêt amusé que j’ai regardé le long métrage The Prophet and The Space Aliens du cinéaste israélien Yoav Shamir. L’approche de ce dernier apparaît bien inoffensive au début mais son passage dans la grande propriété de l’île japonaise d’Okinawa et sa présence à d’autres fêtes du groupe religieux lui permettent de glaner subrepticement des phrases et des images qui s’ajoutent au puzzle que complètent des entrevues externes et des enquêtes en France et au Québec sur l’ancien chanteur Claude Vorhilon. Le cinéaste insère en contrepoint des réflexions de Daniel Boyarin, professeur des religions à Berkeley, permettant d’élargir son propos sur cette création humaine qu’est le discours religieux.
Un parc d’attractions a été conçu et mis sur pied dans les années 70 à Vernon, dans la campagne vallonnée du New Jersey peu loin de la ville de New York par Gene Mulvihill. Celui-ci acceptait de quidams des idées de manèges et les modifiait sans consultation préalable auprès d’ingénieurs et les lançait après des tests mal préparés dans son Action Park. Ce lieu a été affublé par la suite du surnom de Class Action Park à cause des accidents et des poursuites qui en ont découlé. L’équipe du documentaire de Chris Charles Scott et Seth Porges a réussi à trouver de nombreuses archives journalistiques, télévisuelles et de films de familles qui soutiennent les propos de visiteurs et employés qui se rappellent, certains avec horreur, des conditions de travail de ces adolescents peu encadrés et du manque de supervision et de contrôle dans les opérations de cette Ronde mal embouchée. Les deux réalisateurs peuvent ainsi faire de ce cas d’espèce un exemple de la dérégulation et de la poursuite effrénée des gains qui caractérisèrent déjà l’ère Reagan.
Un dessinateur californien crée une bande dessinée Boy’s Club dont un de ses fainéants personnages se nomme Pepe the Frog. Celui-ci est une grenouille avec un grand sourire béat ou niais. Pepe est une variation autobiographique de l ‘artiste au nom antinomique de Matt Furie considérant l’air désabusé de la créature dont la formule favorite est Feels Good Man. Devenu populaire sur Instagram, le dessin de Pepe est rapidement transformé par des mèmes et Furie en perd ainsi le contrôle.
Le réalisateur Arthur Jones accompagne Furie dans ses activités familiales et professionnelles et, par le biais d’archives visuelles de divers types ainsi que par des entrevues avec des amis, brosse ainsi un portrait de cet homme qui a laissé le génie sortir de la bouteille. Furie tente depuis de reprendre le contrôle sur ce dessin qui, par les circonvolutions des réseaux sociaux, a participé de manière incidente à l’élection de Trump en 2016, étant devenu un point de ralliement des groupes d’extrême-droite. Le parcours du combattant de Matt Furie donne froid dans le dos malgré une fin plutôt joyeuse et sert d’exemple à ce qu’on a l’habitude d’appeler les dérives tentaculaires de ces réseaux. Pour cette prestation, Arthur Jones a remporté le Prix spécial du jury documentaire pour un jeune cinéaste à Sundance et celui du public à Fantasia. C’est par ses explorations étonnantes par le sujet ou par la forme que Fantasia continue d’honorer ce genre si nécessaire en ces temps où les marges sont sans cesse redéfinies par de nouveaux discours.