Fantasia 2021
Première partie
ÉVÈNEMENT.
texte
Élie Castiel
Une formule hybride
Année mâtinée, certes : « En salle » – on dit maintenant, et je me demande pourquoi, « En présentiel », question sans doute de faire plus « cool », ou mieux dit plus « tendance «, alors que l’expression ne s’applique qu’à l’enseignement et soudainement apparue il y a un peu plus d’un an. L’oisiveté pendant la pandémie a sans doute excité l’imagination.
Toujours est-il que pour les membres de la « presse », c’est-à-dire les médias, l’accès en salle n’était pas permis, sauf dans des cas isolés, et il n’est pas certain. En ce qui me concerne, il n’y pas eu de suite à mes deux demandes. Mais bon…
Côté programmation, et c’est ce qui nous intéresse le plus, une programmation, justement, hybride, au diapason avec cette édition du festival. Tout bonnement, les liens ne me conviennent pas puisque le ratio Grand Écran diffuse la véritable image. Et surtout, surtout, comment ne pas se laisser envoûter par l’atmosphère de la salle, remplie, aux sons des fans de toutes les heures, fidèles à cette tradition annuelle.
Cinq films, c’est tout ce qu’on a pu voir, mais suffisamment pour donner une idée, seulement une idée des sensations procurées cette année. Nous les traiterons par ordre alphabétique de titre.

Ghosting Gloria
Ghosting Gloria / Muerto con Gloria (Uruguay – Mauro Sarser, Marcela Matta)
Amours d’outre-tombe
Un scénario solide, une idée tout à fait originale et des comédiens, surtout comédiennes, impeccables. Du comportement le plus libre à l’ingéniosité la plus décontractée. Et l’amour, aussi physique qu’émotif, c’est par le rêve que la principale protagoniste le réalise. Le rêve, au détriment d’une réalité pas toujours rose. Et des personnages qui s’inscrivent dans la fiction et disparaissent comme par enchantement. Les deux cinéastes n’ont qu’à faire de la logique. Ils s’en tirent à merveille, préférant dialoguer avec les images, la caméra et notamment un montage qui privilégie le désordre. C’est bien dans la veine de Fantasia. Sur Grand Écran, l’effet aurait sans doute été plus dévastateur, dans le bon sens du terme. En tout cas, le genre fantastique mêlé à des sentiments réels, soit l’amour et ses contours souvent sinueux, font partie maintenant de la mouvance latino-américaine en ce qui a trait au cinéma de genre. Dans un sens, un film poétique et charmant. Hésite amoureusement entre le film de genre et le drame sentimental.

On the 3rd Day
On the 3rd Day / Al tercer día (Daniel de la Vega – Argentine)
À fleur de peau
Effectivement, un film sensible malgré ses attouchements pervers. Un suspense. Un thriller. Un film d’épouvante ou presque. De la Vega ne recule devant rien pour bousculer les genres. Pour la simple raison qu’il a sans doute vu des centaines de films de cette catégorie, qu’il s’est inspiré de nombreux cinéastes, sources des images de ce « troisième jour », morceaux choisis dont le concept, à la fois ivre et mesuré, se permet mille et une trouvailles. Le cinéaste est conscient que c’est de cinéma qu’il s’agit, que c’est dans l’aventure du tournage, de l’édition et de la mise en chantier que réside la proposition. Et que le produit final, après tout, peu importe son destin, reste entre les mains des spectateurs. À suivre ou à laisser. Somme toute, un pari que celui de tourner pour son propre plaisir. Une gageure risquée, mais lorsqu’on se rend compte de la vraie nature de son projet, on ne peut qu’y adhérer. Bravo.

The Sadness
The Sadness / Kū bēi (Rob Jabbaz / Taïwan)
Triste mélancolie
Quel beau film ! Quel film touchant ! Quel poème lyrique dédié au cinéma ! Rob Jabbaz consacre des images, au lieu des mots, à cette douce sensation que procure la tristesse (the sadness du titre anglais). Jabbaz, un des nôtres, Canadien, qui tout en défendant ses couleurs nationales, respire « film asiatique », sans doute un des enfants retrouvés du Fantasia des premières heures. Le cinéma de genre le guette et il se laisse hanter par ce qu’il procure. Du pur enchantement aux lendemains les plus sombres, des plus sensationnels et gratuits au plus recherchés. Après tout, c’est du cinéma. Une pandémie s’est abattue sur le territoire. Comme y échapper ? Quoi ajouter de plus ? Je persiste à ne pas convoquer le mot qui commence avec C. Mais entre les mains du jeune réalisateur, un pouvoir qui s’opère à chaque seconde, des séquences abouties, splendides, bien orchestrées, fières de leur contenu. Des interprètes qui montrent un malin plaisir à camper des personnages inhabituels saisis par la réalité réinventée, pour le meilleur et pour le pire. Mais lorsqu’il s’agit de cinéma, le « pire » n’est guère une option.

Tombs of the Blind Dead
Tombs of the Blind Dead / La révolte des morts-vivants / La révolte des Templiers / La noche del terror ciego (Amando de Osorio – Espagne / Portugal)
Lorsque le film d’horreur était « sexy »
Il s’agit d’une production de 1972. Réalisé par un des prêtres du cinéma d’horreur, à l’aube des années 70, encore imbibé des notions des années 60. La Hammer, Mario Bava et ses acolytes, Jesús Franco et ses disciples sont convoqués. Ils tournent tous avec un sens inouïe de la répartie, une morale du plan totalement déchaîné et dévergondé. J’ose y aller plus loin, de par la bande musicale, de par les comportements, le film évoque le « cinéma mondo » (mondo movie) à ses heures de gloire, c’est-à-dire les années 60. Pour le scabreux des situations, pour les comportements séduisants, pour le choix des interprètes féminines. Une sensation difficile à expliquer, mais présente. Peu importe ce récit où des templiers de l’âge médiéval s’en prennent aux contemporains. Critique de l’Inquisition espagnole (et portugaise, faut-il rappeler), mais surtout mise en évidence d’un genre cinématographique difficile à classer et notamment honni par la critique de l’époque. Des décennies plus tard, il trouve finalement ses titres de noblesse. Nous n’en sommes que plus heureux. Quant à De Osorio, aussi têtu qu’une mule, pour notre plus grand plaisir. Un sentiment doublement partagé.
Et finalement, le moins intéressant des films visionnés, dommage puisqu’il s’agit d’un Sion Sono – voir critique ici. Prisoners of the Ghostland : Un faux pas, une erreur filmographique, un changement inutile de ton. L’Orient et l’Occident se retrouvent pour ne pas s’entendre. Bonne chance la prochaine fois.
Cinq films, comme nous l’avons mentionné, heureusement marqués du sceau de l’originalité (à une erreur près). Mais en format-maison, la magie n’opère pas. Les bouchées sont doubles pour tenter de fournir un avis sincère et bien fondé. Vive l’an prochain, en salle, nous l’espérons.