Fantasia 2022
… III
ÉVÉNEMENT.
[ Festival ]
texte
Élie Castiel
Sur
quelques
découvertes
Le plus souvent, le thème principal suscite notre attention; le récit aussi, s’il est plein de rebondissements. Et finalement, ce qui ce rapproche le plus près de notre sensibilité. Sur quelques films vus récemment.
De la Belgique, L’employée du mois, de Véronique Jadin. Regard féminin plus que film féministe, soulève quelques aspects du cinéma de genre, mais avec un humour près du britannique où les morts s’accumulent comme si de rien n’était. La mise à exécution, volontaire ou accidentelle n’est qu’un détail. La morale ou plutôt le manque de morale est sauf. Bien que dans ce récit, tous, oui les Hommes, sont coupables de leur propre éducation qui se perd dans la nuit des temps. Jasmina Douieb (Inès) et Laetitia Mampaka (Mélody), toutes deux imbattables pour finalement remettre les pendules à l’heure. Et nous n’en somment que plus ravi(es).
Et puis Island of Lost Girls (qu’on pourrait traduire par L’île des filles perdues), une aventure fantastique fait en famille d’Ann-Marie Schmidt et Brian Schmidt, une sorte de Swiss Family Robinson (Les Robinsons des mers du Sud), le brillant film de Ken Annakin, sorti en 1960. Ici, c’est à la mode-aquatique que les trois fillettes (les vraies du couple Schmidt), Autumn, Avila et Scarlet s’en donnent à cœur joie dans ce récit d’aventures rêvées. Il faut conserver le cœur d’enfant pour apprécier le film à sa juste valeur. Dehors les préjugés sur la logique, le côté crédule des choses. Surtout et avant tout, un enthousiasme délirant. Une fable écologique sur le déchaînement de la nature et les « malfaits » de la technologie. Une des plus belles surprise de ce Fantasia 2022. Soulignons la magnifique direction photo de Heatha McGrath, aventureuse, risquée et d’une extraordinaire luminosité.
Les portugais se sont toujours vantés de construire un cinéma d’auteur (Manoel de Oliveira, Pedro Costa et autres à l’appui, comme Arturo Duarte ou António Lopes Ribeiro); et celui du néophyte Pedro Henriques ne fait pas exception. Premier essai dans le long métrage qui désoriente par son anti-récit, cède souvent à l’ennui, mais ne recule devant rien pour faire valoir ses références à un cinéma différent qui ose, se permet les libertés qu’on a le droit de s’octroyer avec un humour créé par les représentants du nouveau siècle. Le titre du film, Frágil (Fragile) est amplement justifié. Entre désespoir face à l’oisiveté qui s’accumule de plus en plus aujourd’hui, les valeurs inexistantes, un monde qui s’écroule sans s’en rendre compte et, plus que tout, le décalage entre les nouvelles générations et celles qui les ont précédé (moins visibles et accentuées dans les générations du XXe siècle). Et comme mise en scène, le chaos, le bordélique, filmer un certain réel reconstruit, inventer des gestes enfantins comme nostalgie de l’enfance perdue, s’assurer le plus sérieusement que « tourner un film » est un acte moral et que rien ni personne ne peut changer cette condition.
Nous avons voulu découvrir le Québécois Renaud Gauthier, également acteur principal dans Punta sinistra. Parfait bilingue, dans le film il avouera être « Canadien-français ». Goût de la provocation politique exécutée avec une liberté et un je-m’en-foutisme contagieux. Gauthier est un enfant, un disciple des films d’action, d’aventures exotiques où le héros solitaire (autrefois le cowboy dans les westerns, américains ou italiens) n’a peur de rien, reçoit les coups qu’on lui administre « as a real man », conserve quelques accents de sexisme, ne s’en excuse guère, ce qui ne l’empêche pas de saisir l’occasion pour présenter des femmes aventureuses, qui se débrouillent parfaitement bien et peuvent très bien être les « Bad Girls ».
Mais Punta sinistra est surtout réalisé avec une esthétique années 60-70 qui se fraient de beaux passages, jonglant avec la couleur, les faux raccords intentionnels, cet attrait pour le ‘trash’ aussi jouissif que psychotronique, tout en soulignant la musique de Bruce Cameron, d’une extraordinaire beauté auditive. Et comme dans le Film noir d’antan, Gauthier a recours à la voix-off pour raconter le récit, un leitmotiv fascinant pour susciter l’intérêt constant des spectateurs. Comme quoi, le cinéma est aussi une histoire littéralement orale.