Fantasia 2023
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ÉVÈNEMENT
[ Festival ]

texte : Élie Castiel

 

Contre toutes attentes

 

Femme

N’eût été d’une ouverture envers le genre « LGBTQ » de la part des programmateurs, un film comme Femme n’aurait pas été programmé aux tous débuts de la section « internationale » de Fantasia. Pour ne pas choquer le public? Ne pas attiser son retrait de l’évènement? Toujours est-il que ce festival de genres (et tous les genres) s’intègrent aux changements sociaux, ose s’aventurer davantage dans des chemins encore plus risqués. La programmation de cette année, hormis l’aventure « Retro » qui donne l’occasion de découvrir (ou redécouvrir) ces films qui ont fait l’honneur de FantASIA et qui rappellent l’engagement initial de l’évènement, c’est-à-dire montrer des films en provenance des pays asiatiques – même l’Inde et ses environs régionaux n’étaient pas inclus, s’aventure dans de voies multiples, inclusives. Autre époque, autres mœurs.

Lovely, Dark, and Deep

Justement, Femme, ce très beau récit férocement amoureux entre un travesti noir et un gai encore dans le placard. Une histoire insensée où le duo de scénaristes-réalisateurs, Sam H. Freeman et Ng Choon Ping, concoctent quelque chose entre la perfidie du quotidien et les attentes du discours affectif. Entre les dissonances existentielles et les apories de la réalité. Les séquences se suivent alors que nous sommes de plus en plus déconcertés à mesure que les attentes et les surprises se suivent et ne se ressemblent pas, sans qu’on s’y attende à ce qui adviendra de cet étrange jeu entre le désir et le pouvoir. Et c’est là où la métaphore du titre se fait aussi virulente.

Lors d’une séquence mémorable, le personnage de Joy (très versatile actrice philippine Max Eigenmann) soumet le spectateur occidental à un véritable plaidoyer social dans son comportement envers certaines minorités. Outre l’aspect fantasieux qui n’arrive que vers la fin du film – et encore, avec une certaine retenue; et c’est bien comme ça, on remarque, de la part des programmateurs, une tendance à couvrir des enjeux actuels de société. Mais pour ne pas briser les traditions, il y a aussi ce personnage de Grace (excellente jeune comédienne Jaedan Paige Boadilla, d’une grâce démoniaque et adorable du début à la fin. Raging Grace, de Paris Zarcilla, ou le tragique devenu délicieusement banal et intentionnellement dangereux.

Et comme il s’agit d’un festival de « genres », tous les coups sont permis. Ce sont surtout les adages pernicieux, les faux pas réglés d’avance, les cruautés gratuites et ces afféteries libertaires de notre monde que tente d’illustrer Fantasia, cet incontournable rendez-vous annuel.

Cette banalité est le tragique survenu dans cette Guerre (que Poutine, le tyran russe, considère comme « Opération spéciale ») provoquée par la Russie (ou seulement par un « seul » homme et ses sbires, incluant ceux de la milice Wagner). Réalisatrice de téléséries dans son pays, l’Ukrainienne Yeva Strelnikova réussit admirablement cette fiction expérimentale où le titre, Stay Online, annonce a priori les intentions, mais dans le même temps offre la possibilité d’utiliser les réseaux sociaux comme arme de combat. Comme c’est le cas de Katya (Liza Zaitseva), intégrée dans la lutte par voie cybernétique alors que toutes les prouesses sont permises sans porter atteinte à sa vie. La mise en scène est le personnage principal de ce film. Les protagonistes évoluent donc entre les envois par cellulaires interposés, de ces images extraordinairement insoutenables des conséquences de la guerre. La mort devient une banalité, mais dans le sous-sol, faussement protégé quelque part à Kiev, l’émotion ne peut être cachée lorsqu’on apprend le décès, au combat, d’êtres chers; même si on se retient le plus rapidement possible pour poursuivre le combat.

Stay Online

Il y a là, de la part de Strelnikova, cet appétit insatiable de mise en scène dans le discours entre la fiction affectée et le « message » (quel vilain mot de nos jours) social. Le titre de travail, The Day I Met Spiderman (serait-ce Denʹ, koly ya zustriv lyudynu-pavuka, en ukrainien, ou encore Zalyshaytesya Onlayn, pour Stay Online). Sur ce point, les pays non-anglophones ont de plus en plus recours aux titres anglophones pour leurs productions. Domination d’une langue commune à la mondialisation. Mais peu importe, Stay Online résonne surtout comme un « ordre », un décret pour ne pas baisser les bras et continuer la lutte d’une guerre ouverte au monde qui ne semble pas finir. Ce qui aurait pu être un beau film devient quelque chose de laborieux, sec, pris entre diverses possibilités de mise en scène et qui, finalement, ne trouve pas vraiment sa voie.

Raging Grace

Mais il faut voir Lovely, Dark, and Deep, ne serait-ce que la fascination que porte Theresa Sutherland dans un premier long métrage, après deux courts, malgré tout, prometteur. Ne serait-ce que par l’atmosphère tendue, plus intérieure que démonstrative, le souci de ne pas illustrer l’affect, la pulsion intérieure étant comme objet principal dans ce film à la fois austère et rempli de faux rebondissements. Un premier essai tout de même abouti.

What You Wish For

Et puis, la pièce de résistance d’un repas tout à fait particulier dans What You Wish For, de Nicholas Tomnay. Il assure également le scénario et, côté montage, il ne peut faire confiance qu’à lui-même. On sent cette tension tout le long de la projection – on ne vous dira rien sur les surprises (ou plutôt « la » surprise) de ce repas gastronomique atypique, même si on devine ce qui se passe très vite dans le récit. Tout coule comme du béton dans cette allégorie de la lutte des classes et de l’avidité de l’individu. Un film coriace, rempli de « mauvaises » intentions. N’est-pas assez pour susciter votre intérêt?Un survol rapide qui illustre bien que d’année en année, le discours fantasien en matière de programmation s’adapte admirablement au goût du jour. Et comme il s’agit d’un festival de « genres », tous les coups sont permis. Ce sont surtout les adages pernicieux, les faux pas réglés d’avance, les cruautés gratuites et ces afféteries libertaires de notre monde que tente d’illustrer Fantasia, cet incontournable rendez-vous annuel.

Fantasia 2023
du 20 juillet au 9 août