Fantasia 2024
« II»
ÉVÈNEMENT
[ Cinéma de genre ]
texte : Élie Castiel
Un état d’esprit pérenne
Festival qui, dès sa première année, il y a 28 ans, accomplit un travail considérable effectué par une équipe de « possédés de cinéma asiatique », à l’époque peu connu dans la métropole, particulièrement en ce qui a trait aux productions mainstream. Jusqu’ici, tout va bien…
Et puis, du jour au lendemain, même si Fantasia conserve sa marque de commerce, une mondialisation de la programmation émerge presque à l’improviste, gagnant pratiquement de nombreux adeptes du cinéma de genre, et dans le même temps, ouvrant grand la porte à cette catégorie de films, autrefois vilipendés par la critique institutionnalisée de l’époque, issue des années 1960-1990. Le temps passe et les films laissent découvrir de nouveaux noms, des réalités plurielles, des mondes fantastiques, beaucoup d’hémoglobine, une anti-rectitude politique totalement décomplexée, la mise en images d’interdits parfois choquants qui se donnent, sans prévenir, droit de cité. Le film de genre est désormais officialisé.
Qu’en est-il aujourd’hui de ce phénomène cinématographique devenu avec le passage du temps plus un « état d’esprit » que tout autre chose – bien entendu, on ne dénigrera pas pour autant le côté cinématographique de la chose. Mais force est de souligner que de nouvelles générations de fantasieux ont émergé, donnant suite à une poussé d’adrénaline qui se perpétue d’une séance à l’autre. Les films comptent, mais l’atmosphère contribue tout autant à la qualité ou la superficialité d’un film à l’autre. Rien ne compte que le plaisir d’avoir des salles combles et de partager le temps que dure chaque séance. Il est question plus d’un rituel que d’une sortie au cinéma.
Aux commandes de la grande salle, soit à l’Impérial d’autrefois, ou à la grande salle de l’édifice Hall de Concordia, notre’ Daniel national est toujours présent, même si quelques poussées de cheveux blancs se manifestent par-ci par-là. Sa pérennité légendaire est toute épreuve.
Cette année, sur quelques premiers films que nous avons pu voir, une légère accalmie dans la valeur des productions proposées, une écriture scénaristique pas toujours prouvée, une accumulation de gore exagérée ou encore prévisible.
Tout d’abord, The A-Frame (États-Unis), de Calvin Lee Reeder, où la science quantique se donne des allures de grande puissance technologique par le biais du cinéma et se résume en une accumulation où horreur et expérimentation se côtoient dans un mélange maladroit poussif. N’est pas Cronenberg (père, bien entendu) qui veut.
Nous avons été plus chanceux avec Chainsaws Were Singing (Estonie – Mootorsaed laulsid), quasi un anti-The Texas Chainsaw Massacre (l’original). Délibérément excessif, musical au charme époustouflant, sanguinaire à l’excès, film culte pour séances de minuit, si elles existent encore.
Puis, From My Cold Dead Hands (Espagne), de Javier Hocalajada, en version originale anglaise. Le triomphe de la NRA (National Rifle Association) en terre d’Amérique. Tout le monde a droit à porter des armes. Les fusils de toute sortes sont autant de jouets pour les jeunes enfants qui entrent dans la vie d’adulte avant leur temps. Une exploration inquiétante d’un système américain pourri jusqu’aux os. YouTube en est fautif, tout comme d’autres réseaux sociaux. La virilité n’a jamais était aussi accessible et démonstrative. Jusqu’au point où elle trouve de nouveaux adeptes chez les femmes. Une nouvelle Amérique interdite.
Salle comble pour Shelby Oaks (apparemment acheté par Neon), premier long métrage du créateur de YouTube Chris Stukckmann ; et parmi les producteurs, Mike Flanagan. Une disparition. La sœur de la disparue cherche, des années plus tard, à la retrouver. Rien de nouveau comme scénario, mais une distanciation face aux évènements qui se perpétuee de scène en scène, jusqu’à une conclusion explosive, même dans sa consternation imagée.
Encore un pays anglophone, la Grande-Bretagne. Le film : The Beast Within, d’Alexander J. Farrell. Une histoire de loup-garou qui a tout à envier au petit chef-d’œuvre de la Hammer des années 1960, Night of the Werewolf (La nuit du loup-garou) du prolifique et inventif Terence Fisher.
Dans mon cas, la surprise est un films de 1973, Hollywood 90028 (États-Unis), de Christina Hornisher, un premier et seul long métrage de Christina Hornisher, une véritable descente aux enfers d’un détachement extraordinaire. Un tueur en série (parfait Christophe Augustine) qui ne semble pas l’être, un film d’amour qui n’ose pas se concrétiser dans une « ville des anges » (L.A.) ultra violente, une désacralisation de l’espace sociale. Une capitale du cinéma totalement en dehors de la vie civile. Pour Hornisher, qui aurait pu continuer dans le métier, une regard puissant sur la nature du cinéma en même temps qu’une référence attendrissantes à des genres cinématographiques déjà confirmés, comme le mélodrame et le film romantique. Un bijou.
Petit tour final avec un film portugais (quand même !), The Old Man and The Demon Sword (O Velho e a Espada). Une épée qui joue sans cesse des tours, quelques éléments pour plaire aux adeptes de Fantasia et d’autres festivals de cinéma de genre, mais surtout et avant tout, un heureux acharnement à confirmer que le cinéma de ce pays est essentiellement une aventure intellectuelle. On pense à Pedro Costa, parfois à Manoel de Oliveira, un tout petit peu à João Pedro Rodrigues, beaucoup plus marginal, et pourquoi pas, Joaquim Pinto, avec qui, dans l’ensemble, Powers partage l’obsession de la pensée à travers les mythes fondateurs et autres velléités spirituelles et conceptuelles.