Festival du Nouveau
Cinéma 2023 > III
texte
Luc Chaput
| Documentaires |
Appréhender le réel
Un appartement dans une tour d’un quartier d’une ville du Nord-est du Brésil, c’est le lieu de vie depuis l’enfance du cinéaste Kléber Mendonça Filho. Après une visite des environs, il rend un hommage précis à sa mère, l’historienne Joselice Jucá, rattachée à la fondation du diplomate et abolitionniste Joaquim Nabuco. Des extraits de films de famille et de ses premiers tournages amateurs rajoutent à la compréhension physique de ce lieu et de son voisinage qui irrigua le travail de l’artiste. C’est dans ce dialogue entre persistance et changement que se déroulent certains des documentaires présentés cette année dans ce FNC
Retratos Fantasmas (Portraits of Ghosts) nous mène ensuite dans un quartier central pour y cartographier les salles de cinéma disparues ou transformées en d’autres fonctions commerciales ou religieuses. Le carnaval, les relations internationales, les soubresauts politiques et les souvenirs de certains s’entortillent harmonieusement avec des extraits de ses longs métrages pour évoquer ces endroits magiques auxquels des cinéphiles de plusieurs contrées pourront greffer leurs souvenirs équivalents. La touche du cinéaste est légère, pleine de clins d’œil surtout dans la scène finale et l’on comprend parfaitement que son pays l’ait choisi comme candidat aux Oscars.
Le dispositif filmique de James Benning, pour Allensworth, est simple. 12 séquences, une par mois, des plans horizontaux larges montrant des édifices aux fonctions diverses vides avec habituellement peu de sons ambiants sauf celui des trains ou automobiles circulant au loin en arrière-plan. Une jeune Afro-américaine devant un tableau noir lit des poèmes revendicateurs de Lucille Clifton dans la séquence centrale et deux chansons interprétées par des artistes afro-américains participent à ce regard trop distancié sur la première agglomération noire de Californie. Des infos sur l’histoire de cette communauté auraient pu être rajoutées avant ou après le plan noir intercalé entre chaque mois. Des cartes montrant ce qu’il est advenu au lac de Tulare auraient constitué également une plus adéquate célébration pour ce lieu maintenant préservé par l’état.
Une photo d’un véhicule accidenté se mue en animation introduisant le portrait funéraire que le réalisateur philippin Khavn construit pour son prédécesseur Lino Brocka, maintenant reconnu comme un cinéaste important. La première partie du titre, National Anarchist ,est soutenue par les multiples citations de cet auteur de nombreux longs métrages qui cultiva le franc parler et décrivit par le biais du mélodrame les conditions de vie pitoyables d’une grande partie de ses concitoyens. Le montage de Khavn, employant superpositions, triptyques et de multiples extraits dont ceux de Maynila sa mga Kuko ng Liwanag (Manila in the Claws of Light) pourra servir d’introduction nécessaire à cet artiste mort en 1991 à 52 ans.
Dans un vieil hôtel de Tunis transformé en studio, deux actrices rencontrent Eya et Tayssir, les deux plus jeunes filles d’Olfa Hamrouni. Rahma et Gofrane ont été aspirées par le mouvement islamiste et sont devenues membres de Daech en Libye. Le contact est chaleureux et la complicité s’installe entre les quatre jeunes filles les menant vers une sororité particulière. L’ajout de la célèbre Hend Sabri, pour interpréter Olfa dans certains séquences alors que celle-ci est présente, apparaît à prime abord comme une décision risquée. Les discussions franches, les fous rires, les confidences, les chansons alternent dans ce rappel complexe de l’éducation qu’Olfa a reçue de ses parents et a transmise à ses quatre filles. La révolution du Jasmin et ses conséquences insoupçonnées alors sont également inscrites dans ce parcours familial complexe. La réalisatrice Kaouther Ben Hania réussit à mener à bon port son esquif et à faire des Filles d’Olfa (Banat U’lfa) une hybridation réussie entre documentaire et recréation qui lui a permis de remporter l’Œil d’or du documentaire au dernier festival de Cannes.
Nous reviendrons au cours de l’année qui vient sur d’autres longs métrages qui font partie de cette riche offre comme déjà cette semaine les propositions de d’Ariane Louis-Seize et de Nanni Moretti.