For the Pleasure of
Seeing Her Again
@ Centaur

CRITIQUE
[ Scène ]
Élie Castiel

★★★★

Mater

amatísima

Quelque chose de fusionnel.
Crédit : Centaur

À l’époque, le joual, non pas comme un acte de provocation envers une bourgeoisie canadienne-française qui joint les rangs des beaux-quartiers et qui suivent surtout une littérature française, les classiques de la scène, mais comme la revendication d’un peuple, mieux encore, la voix intérieure d’une partie de l’âme collective, rebaptisée par la suite québécoise, prête à s’affirmer ouvertement, sans fard, mais à coups de proses quasi poétiques, d’accents musicaux et qui rythme le quotidien, en quelque sorte, un réquisitoire dans lequel il n’existe ni plaignants ni accusés.

Car tout se passe dans la chaleur de la langue qui, avec Tremblay, à travers le temps, s’établit, résiste et emporte l’adhésion de la majorité de ceux et celle de la scène culturelle et littéraire.

Encore une fois si vous permettez, une œuvre à part ; dans ce titre, comme si l’auteur nous demandait l’autorisation de parler de lui, de justifier la fusion ambiguë qu’il entretient avec sa mère, dans un sens, pilier de la Nation qu’est le Québec.

Le Centaur présente une traduction de cette œuvre-phare avec un titre non moins fulgurant, For the Pleasure of Seeing Her Again, plus affirmatif, une déclaration d’indépendance, une envie de dire, de raconter, de partager l’Homme de l’Artiste, de ce qui est Écrit de ce qui est Vécu. En tout cas, c’est comme cela que nous voyons le titre anglophone.

Emmanuel Schwartz, le narrateur, alter ego de Tremblay, qui assiste à la représentation, entre par l’une des portes empruntées par les spectateurs comme s’il faisait partie d’eux, descend les marches jusqu’à la scène pour finalement y être, éclairage intime, très intime, comme si ce qu’on nous racontera était quelque chose du « très privé » et que le nombre de personnes dans la salle ne constituait qu’un petit groupe de personnes alors que c’est en vrai salle comble.

La version anglophone est le récit en forme de monologue intérieur d’un rapport à la mère. Monologue d’autant plus intransigeant et hors du commun, qu’il permet, tout au long, des apparitions soutenues de Nana (la mère) qui s’entretient avec son fils – Réalité inventée, vécue ou réincarnée selon les codes du théâtre dramatique, autant d’éléments narratifs scéniques qui se présentent comme des tableaux magnifiquement ajustés. Et dans le drame, quelques sautes d’humour.

Un jeu d’interprétation presque figé de la part des deux intervenants. Ils se séparent soudainement, se rapprochent ensuite, de près parfois. Elle s’assoit. Plus tard, c’est à son tour.

Tout sur mon fils.
Crédit : Centaur

Une chaise, comme pièce de rassemblement ou plutôt d’équilibre. Ce tour de manèges dans la mise en scène magnifique d’Alice Ronfard renvoit à une certaine dialectique de l’activité théâtrale. Celle de la liberté du geste et du mouvement. Ou tout simplement de la stratégie du saltimbanque.

On se dit des banalités, la mère charge le fils de quelques petites erreurs, le fils lui répond selon ses convictions. Mais tous les deux sans mauvaises intentions. On reprend ces mots qui ne signifient rien pour occuper l’espace de la parole.

Et puis la scène (plan-séquence-clé) où il sera question de l’inavouable, de ce que l’un ne veut pas dire, de ce qu’elle aurait voulu entendre dans un sens, mais pas vraiment, ce quelque chose qui, dans sa propre fiction de la vie, n’existe pas, que son fils…

À lui seul, cet aparté où les éclairages de Julie Basse changent radicalement de ton, d’apparence, plonge le spectateur dans une espèce de torpeur intellectuelle où seul compte le message reçu, le rapport entre ces deux vies et la sienne propre.

Et deux interprètes sont majeurs. D’une part, un Emmanuel Schwarz charismatique, une langue anglaise parfaitement maîtrisée, accent ou tonalité ; et bien entendu, une Ellen Davis souveraine, défendant un rôle difficile car son intimité-même est issue d’une autre culture. L’instant d’une théâtralité opportune, les dites « deux solitudes » emboîtent le pas vers une possible réconciliation.

Cette reprise en anglais au Centaur, depuis 1998, est un acte d’amour. Aussi simple que ça ! Par les temps qui courent, une acte quasi politique.

FICHE ARTISTIQUE PARTIELLE
Texte
Michel Tremblay

Adaptation
Linda Gaboriau ; à partir de
Encore une fois, si vous permettez
Mise en scène
Alice Ronfard

Interprètes
Ellen David (Nana)
Emmanuel Schwartz (Narrateur)

Crédit : Centaur

Décor Gabriel Tsampelieros
Costumes Cynthia St-Gelais
Éclairages  Julie Basse
Concept sonore  Joris Rey

Durée.
1 h 55 min
[ Sans entracte ]
Public
Tout public
Diffusion & Billets @
Centaur
(Salle 2)
Jusqu’au 1er juin 2025

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]