Francine Laurendeau : Celle qui aime
RECENSION
[ Cinéma ]
Pierre Pageau
★★★★
L’incontournable
Je me dois de le dire tout de go : je suis un des collaborateurs de cet ouvrage sur Francine Laurendeau. Qui plus es, avec mon travail à la radio communautaire (Radio Centre-ville), j’ai travaillé avec elle pendant de très nombreuses années. Bref, je suis probablement partial. Mais, je ne suis qu’un des quinze collaborateurs du livre. Et, dans les faits, l’ensemble de ces témoignages m’a permis de mieux comprendre tout l’itinéraire personnelle et professionnel de Francine ; et donc de découvrir de nombreuses facettes peu connues de ce trajet. Cela représente un aspect important, capital de ce collectif : l’histoire de Francine Laurendeau, c’est celle du Québec culturel (et en partie politique) des années 50 jusqu’aux années 2010. Ce qui fait donc de ce livre un « outil de référence ».
En effet, Francine se fait remarquer dès les années 50 alors qu’elle veut rencontrer, avec deux amis étudiants, le très honorable Maurice Duplessis. Cet engagement politique se retrouve dans le documentaire de Jean-Claude Labrecque L’histoire des trois (1990). Ensuite Francine va écrire sur le cinéma, dans le journal Le Devoir (son père André Laurendeau en avait été le Directeur) de 1978 à 1995. Aussi dans des revues comme : Cinéma-Québec et Séquences. Elle sera bien connue et écoutée avec son émission sur le cinéma à la radio de Radio-Canada (Chaine culturelle), de 1975 à 2001. Elle poursuit ce travail à la radio communautaire pendant de nombreuses autres années. L’ouvrage nous permet d’entendre des amis et collaborateurs de Francine durant ces années; comme Jean-Claude Marineau (à Radio-Canada), Martin Bilodeau (au Devoir). Il y a même des témoignages de cinéastes, comme Jeanne Crépeau et Jennifer Alleyn.
Avec ce livre sur Francine, il s’agit donc d’une trajectoire qui peut nous éclairer sur les beaux côtés et les côtés moins jolis d’une carrière d’une femme vaillante dans notre société québécoise. Ce livre témoigne donc de l’importance de Francine Laurendeau dans le paysage cinématographique et culturel québécois. Stéphane Lépine est bien conscient que nous avions bien besoin de telles traces, de tels devoirs de mémoire dans notre société qui s’emploie à fabriquer de l’oubli. Il faut absolument lire son texte d’introduction ; il est particulièrement riche, pertinent.
D’autre part, Stéphane Lépine, en tant que Directeur de la publication, a fait un travail de montage fort original. En grande partie il va suivre la chronologie de la vie de Francine. Mais, il sait comment faire alterner des témoignages sur Francine et des textes de Francine. Lépine façonne une colonne vertébrale au tout en disséminant des chapitres d’un long entretien avec la principale intéressée. Ce qui nous permet d’avoir une vue personnelle, de l’intérieur, sur les goûts et aspirations de cette grande cinéphile. Si l’on s’en tient à la définition du Littré, une biographie, est « sorte d’histoire qui a pour objet la vie d’une seule personne ». Cependant, d’une certaine façon, Stéphane réinvente la façon d’écrire ce genre d’écriture. Plus cinématographique ; serions-nous dans une version littéraire du biopic ? En théorie, une biographie est toujours le discours d’un sujet sur un objet externe d’investigation et qui implique que les biographes (Stéphane et l’équipe) doivent d’abord se documenter. Le coordonnateur doit se faire ensuite une opinion qui va déterminer un angle d’approche. La structure éclatée de ce livre est donc, de mon point de vue, super pertinente. Ce choix est ainsi susceptible de créer de l’intérêt chez le lecteur, même pour celui qui ne connaîtrait pas, ou si peu, Francine Laurendeau. Stéphane a bien compris que l’écriture historique repose sur la narrativité.
Parmi les nombreux témoignages je retiens celui de Georges Privet, courageux, qui lui ne va pas s’autocensurer et va critiquer directement la direction de Radio-Canada pour le congédiement froid, méchant, de Francine; et donc pour la perte de son émission régulière de radio (une heure de temps). Pour Privet, et je le suis totalement sur cette voie, cela témoigne d’un effritement du discours critique sur le cinéma dans nos médias.
Or il n’y a pas de récit sans acteurs. Ici ce sont à la fois ceux qui écrivent sur Francine, et bien sûr, les textes de Francine (long entretien en quatre temps). À priori, la stricte linéarité chronologique pour une biographie semble – en théorie – la façon la plus commode de retrouver la pulsation de la vie. Mais est-ce bien là l’objet d’une biographie qui se veut aussi historique ? À partir du moment où le biographe assume le caractère forcément subjectif de sa reconstitution, le chronologique se double de sections thématiques. On rejoint ici le genre de la biographie renouvelée, celui de la microhistoire ; dans la mesure où il suggère ce que l’on entend par « statistiquement le plus fréquent ». Et alors on trouve toute l’utilité de ce livre qui, à priori ne semble porter que sur une seule vie, mais en fait décrit tout un paysage culturelle québécois.
Parmi les nombreux témoignages je retiens celui de Georges Privet, courageux, qui lui ne va pas s’autocensurer et va critiquer directement la direction de Radio-Canada pour le congédiement froid, méchant, de Francine; et donc pour la perte de son émission régulière de radio (une heure de temps). Pour Privet, et je le suis totalement sur cette voie, cela témoigne d’un effritement du discours critique sur le cinéma dans nos médias.
En conclusion, en reprenant tout ce que ce livre nous apprend sur Francine Laurendeau, et ma perception personnelle, je dirais que le sous-titre « Celle qui aime » aurait pu être aussi « Celle qu’on aime ».
Avec les quatre entretiens, et les textes publiés, on découvre quelques-uns des cinéastes et films qu’elle a beaucoup aimés. Comme François Truffait, tellement snobé dans une large part du milieu de la critique. Elle va aussi défendre, avec multiples solides arguments, le long métrage de Claude Jutra Pour le meilleur et pour le pire (1975), ou L’ange et la femme (1977, Gilles Carle). Mais, celui qui semble se mériter la plus grande place dans son cœur est Louis Malle. J’ai aussi vu Francine en entrevue avec lui lors de son passage pour le Festival du film de Montréal; elle avait demandé explicitement que ce soit elle qui fasse l’entrevue, dans un tête-à-tête très affectueux. Francine avait aussi développé un amour et une connaissance certaine du cinéma des Pays de l’Est ; Marcel Jean (Directeur de la Cinémathèque québécoise et ex-critique de cinéma) parle de cela avec justesse.
Dans ce genre d’ouvrage, le plus souvent les illustrations n’ont qu’un rôle très superficiel. Ici elles sont très consubstantielles avec le récit, le montage, des textes. Les images viennent pratiquement toutes d’archives de Jean-Claude Labrecque, le compagnon bien-aimé de Francine. Elle y est sur chaque image. Il faut prendre le temps de bien les regarder.
En conclusion, en reprenant tout ce que ce livre nous apprend sur Francine Laurendeau, et ma perception personnelle, je dirais que le sous-titre « Celle qui aime » aurait pu être aussi « Celle qu’on aime ».
Francine Laurendeau : Celle qui aime
Montréal : Éditions Somme toute, 2024
224 pages
(Illustré)
ISBN : 9782897944827
Prix suggéré : 34,95 $
ÉTOILES FILANTES
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½ [ Entre-deux-cotes ]