Gunda

PRIMEUR
Sortie
Vendredi 23 avril 2021

SUCCINCTEMENT
La vie d’une mère truie, d’une bande de poules et d’un troupeau de vaches constituent les éléments documentaires prétextes à illustrer le regard sur le monde du cinéaste.

COUP DE CŒUR
de la semaine.

texte
Élie Castiel

★★★★★ 

Quelque chose de sincèrement magique, de mystique, de pieux, émane de cet essai lumineux de Victor Kossakovsky (épelé ici en accord avec le générique du film), connu pour ses allégeances envers la cause animale. Documentariste chevronné, son précédent film, Aquarela / Aquarela : L’odyssée de l’eau (2018), nous avait laissé une sensation de plénitude et nous attendions avec hâte sa prochaine proposition.

Gunda, prénom de la truie-vedette du film éponyme. Un film inusité où ce qui frappe le plus, c’est la mise en scène, ou plutôt la mise en situation. La caméra, aussi discrète que curieuse, demeure constamment à hauteur-de-terre, se voulant complice de ce qu’elle filme.

Une truie et ses petits, nombreux, jonglant avec qui aura le premier le lait de sa maman, malgré les nombreuses possibilités. L’objectif d’enregistrement participe à ce jeu naturel de survie avec un sens inouï de la démonstration, mais pas gratuite, s’en tenant à ces gestes qui conditionnent l’existence autant de la truie que de ses porcelets. Ils grandissent à vue d’œil et nous les suivons à l’intérieur de leur communauté, un environnement primaire, proche de la terre nourricière, avec ses propres règles, ses moyens d’existence, ses va-et-vient incessants.

Le film a été tourné en Espagne, en Norvège et en Grande-Bretagne, dans des fermes et des sanctuaires de ferme, d’où la discrétion de la caméra, que seul son rapprochement avec les sujets filmés rend son intrusion sensible et délicate. Le noir et blanc participe à cette vision anti-spectaculaire, comme si le but du documentariste était associé à la photographie. Un album d’images d’un autre temps qui rend la nostalgie et le rapport à l’Histoire encore plus flagrants.

À hauteur d’animal

Les yeux, inquisiteurs, fixent l’objectif de la caméra.

La truie et ses petits prennent une pause à un certain moment et le cinéaste filme des animaux de basse-cour, en l’occurrence des poules. Dignité des longs cous qu’elles étalent leur donnant une allure, fière, aristocratique. Et même chez celle à une seul jambe qui poursuit sa route comme si de rien n’était. Des moments clé de cette aventure humaine dans un monde inconnu. Il y aura aussi un troupeau de vache auquel le cinéaste consacre moins de temps. Car le principal attrait, c’est bel et bien Gunda.

Et le son, important dans ce film sans dialogue, et pas de musique ; des grognements que l’humain a adopté selon les circonstances, les situations, mais qui dans le film de Kossakovsky deviennent des cris, des hurlements, des parties de dialogues dans le monde de ces mammifères domestiques omnivores. La bruit d’un avion peut-être qui se fait discret, celui d’une machine mécanique venue chercher ce qu’elle cherche comme d’habitude.

Gunda est aussi une aventure du regard : pendant quelques secondes splendides, magiques, la caméra capte l’œil droit de sa principale protagoniste et celui d’une poule pour saisir la puissance de leur regard. Un geste inattendu, un rendez-vous avec la cause animalière, une revendication pour ses droits. Mais plus que tout, la tentative de rapprocher l’Humain de l’autre espèce.

Sans doute que Victor Kossakovsky ne voulait pas montrer la mort qui s’approche de ces porcelets pris par la charrue mécanique de l’homme vers une destination faussement inconnue. On ne verra pas celui qui conduit la trotteuse. Seul le bruit du roulement de la faucheuse inquiète et paralyse. La suite, une mère-truie inconsolable qui s’adresse finalement à la caméra, les yeux fixés, inquisiteurs, comme pour la rendre complice de sa douleur.

Et puis, la mécanique inventée par l’Homme qui vient chercher les petits pour les séparer de leur mère. Constituant pour ainsi dire une des meilleures séquences du film. Gunda ne reconnaît plus son environnement. À deux ou trois reprises, elle cherchera en vain ses petits dans son abri de fortune. Le vide s’installe. La solitude effroyable. Elle tourne en rond de tout côté. La caméra est aussi désolée qu’elle. Et puis, comme par magie, pendant quelques courtes secondes interminables, Gunda fait face à la caméra, ses yeux arrêtés, inquisiteurs. Pour le cinéaste, c’est sans doute là le souhait d’avoir su capter un moment mémorable. Pour Gunda, la truie, la triste certitude de réaliser qu’elle n’a plus d’enfants.

Sans doute que Victor Kossakovsky ne voulait pas montrer la mort qui s’approche de ces porcelets pris par la charrue mécanique de l’homme vers une destination faussement inconnue. On ne verra pas celui qui conduit la trotteuse. Seul le bruit du roulement de la faucheuse inquiète et paralyse. La suite, une mère-truie inconsolable qui s’adresse finalement à la caméra, les yeux fixés, inquisiteurs, comme pour la rendre complice de sa douleur.

Épaulé de Tone Grøttjord et de Regina K. Scully, le grand comédien Joaquin Phoenix agit en producteur exécutif de cette merveilleuse exploration animalière, superbement maîtrisée.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Victor Kossakovsky

Scénario
Victor Kossakovsky

Ainara Vera

Direction photo
Victor Kossakovsky
Egil Jåskjold Larsen

Montage
Victor Kossakovsky
Ainara Vera

Son
Alexander Dudarev

Victor Kossakovsky / @ YouTube

Genre(s)
Essai documentaire

Origine(s)
Norvège

États-Unis

Année : 2020 – Durée : 1 h 33 min

Langue(s)
V.o. : sans dialogue

Gunda

Dist. [ Contact ] @
Entract Films
[ Elevation Pictures ]

Classement
Tous publics

En salle(s) @
Cinéma du Parc

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]