Hiroshima mon amour
@ Usine C
Une approche
avant-gardiste
empreinte
d’idéologie partiale
CRITIQUE
[ Scène ]
Élie Castiel
★★★★
« Notre projet est très proche de celui de Marguerite Duras puisque nous allons, nous aussi, travailler sur la mémoire : celle d’Hiroshima, du travail de Duras, du film de Resnais et de l’histoire récente. Grâce à la musique et au chant, nous pouvons plonger dans des émotions tellement denses que les mots peuvent difficilement les transmettre. » suivi par la phrase que cet opéra théâtral « ose à son tour faire résonner un appel brûlant à la paix ».
(Extraits du dossier de presse)
Cette proposition est-elle complètement aboutie, du moins politiquement ?

Un extrait du film.
Crédit : Valérie Remise
Il y a d’abord une proposition, celle d’une écrivaine, Marguerite Duras, qui, avec la complicité de l’incontournable cinéaste Alain Resnais, créent ensemble un des chefs-d’œuvre du cinéma français, Hiroshima mon amour.
Le metteur scène québécois Christian Lapointe et la compositrice australienne Rósa Lind ont uni leurs disciplines respectives pour composer un opéra théâtral rendant un hommage au film, pour en extraire plus particulièrement son message de réconciliation. Honorable proposition, faut-il l’avouer.
À la fin de la pièce, quelques secondes après l’ovation des spectateurs, un panneau sur un écran vidéo de scène passablement renversé – comme si un siège s’était abattu sur la scène – indique « Arrêtez le génocide à Gaza », signe tout à fait digne si on a la moindre conviction éthique, tout à fait indiqué pour s’indigner contre ce qui se passe depuis de nombreux mois dans cette partie du monde ; mais dans cette même pancarte ne fallait-il pas ajouter trois petits … suivis de « libérez les otages, que le Hamas dépose les armes et qu’il quitte l’enclave ». Mais ici, un poids, une mesure, un seul blâme, certes justifié, mais un refus de l’autre camp d’avoir subi un 7 octobre tragique, évènement ayant pris le lendemain, malheureusement, le visage d’un simple fait divers, inversant pour ainsi dire les rôles.

Une symbiose entre l’écrit/chanté et le politique.
Crédit : Valérie Remise
Côté mise en scène, la mise en abyme théâtrale de Lapointe, totalement amalgamée à la proposition musicale de Lind, ces deux disciplines se présentent comme un tour de prestidigitation aussi courageux qu’inventif. Des extraits bien précis où le gros plan exprime sa supériorité, évoquant ainsi le côté poétique du film, voir l’évocation amoureuse entre Elle (Emmanuelle Riva) et Lui (Eiji Okada), peu importe leurs prénoms, une histoire d’amour vécue entre deux êtres déjà pris, lui sur place, elle à Nevers, maintes fois mentionné dans le film (et la pièce). Pour Resnais, à l’époque, évoquer Hiroshima, comme ça pourrait être aussi Nagasaki, une façon de parler, entre autres, du sentiment amoureux entre un homme et une femme épris à un moment auquel ils ne s’attendaient pas.
Entre les extraits du film et ce qui se passe sur scène, une correspondance où la mise en abyme transmet ses enjeux les plus significatifs, comme, surtout, la symbiose affective qui s’établit entre les deux personnages. Duras/la comédienne propose une voix-off en présentiel qui s’accorde admirablement bien à cette proposition inusitée, soulignant pour ainsi dire ce qu’on appelle communément l’avant-garde théâtrale, forme dramatique qui, nul doute, sous-tend ses objectifs sociaux et idéologiques.
Pour la pièce-opéra dont il est question, une sorte de voyage au cours duquel les codes de la mise en scène sont remis en question, voir même déconstruits, d’où ces images vidéo parfois nébuleuses, des plans mal placés, des situations équivoques, au même titre que ces amants qui vivent un amour impossible dicté par les aléas du destin.
À un certain moment dans le récit sur scène, à bien observer et surtout écouter ce qui se dit (ou plutôt se chante), on préconise la fin, ce message-pancarte qui viendra clore le spectacle comme s’il s’agissait d’une manifestation publique.
La liberté d’expression étant une valeur fondamentale dans notre société démocratique, et je partage totalement cette conviction, ne doit-elle pas également faire état d’équité, particulièrement lorsque, politiquement, les deux partis sont fautifs de ce qui se passe.

Assumer des rôles ayant déjà existé.
Crédit : Valérie Remise
Mais peut-être aussi qu’une pièce de théâtre ne peut pas résoudre une question aussi complexte quel que soit le camp qu’on défend. ? ? ? (points d’interrogation).
Aux voix féminines, Marie-Annick Béliveau et Ellen Wieser font preuve d’habilité, elles elles adhèrent à ce que l’on s’attend côté lyrique ; le jeune comédien, Yamato Brault-Hori chante un peu faux, mais nous sommes prêts à lui pardonner puisqu’il possède une présence scénique indéniable.
Entre les extraits du film et ce qui se passe sur scène, une correspondance où la mise en abyme transmet ses enjeux les plus significatifs, comme, surtout, la symbiose affective qui s’établit entre les deux personnages. Duras/la comédienne propose une voix-off en présentiel qui s’accorde admirablement bien à cette proposition inusitée, soulignant pour ainsi dire ce qu’on appelle communément l’avant-garde théâtrale, forme dramatique qui, nul doute, sous-tend ses objectifs sociaux et idéologiques.
Comme quoi, malgré mes quelques objections, je reconnais la pertinence de l’œuvre.
FICHE ARTISTIQUE PARTIELLE
Livret
Christian Lapointe
D’après le scénario de Marguerite Duras
pour le film d’Alain Resnais Hiroshima mon amour
Mise en scène
Christian Lapointe
Assistance à la mise en scène
Nicolas Dupuis
Musique
Rósa Lind
(Rosalind Page)
Codirection musicale
Marie-Annick Béliveau, Isabelle Bozzini
Chant & Interprétation
Marie-Annick Béliveau,
Yamato Brault-Hori,
Ellen Wieser
Andréane Roy
Scénographie
Anick La Bissonnière
Lumières
Sonoyo Nishikawa
Costumes et accessoires
Julie Lévesque
Conception vidéo
Christian Lapointe
Durée
1 h 10 min
(sans entracte)
Diffusion & Billets @
Usine C
(Salle 1)
Jusqu’au 28 mai 2025
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]