Hot Docs 2021
COMPTE RENDU
D’ÉVÈNEMENT.
[ En ligne ]
texte
Luc Chaput
Dernièrement s’est tenue en ligne la 28e édition du festival documentaire torontois Hot Docs, devenu un des plus importants de la planète et le plus gros en Amérique du Nord. Diverses compétitions y ont cours et des prix du public, à l’instar de son collègue local, le célèbre TIFF, peuvent avoir un grand retentissement. Des mondes diversifiés y étaient abordés dans des discours qui pouvaient être très personnels. En voici quelques glanures.
États de mondes
Des amies adolescentes en Californie dans les années 60 forment un groupe rock et sont reconnues comme des musiciennes au jeu tranchant capables de rivaliser avec les groupes de gars pour des soirées de danses dans des collèges ou des prestations dans des clubs plus ou moins connus. Le groupe devient célèbre sous le nom de Fanny et accumule quelques succès, effectuant même des tournées en Europe surtout en Grande-Bretagne où leur nom fait sourire. La réalisatrice québécoise Bobbi Jo Hart suit pendant plus d’un an les retrouvailles récentes de ce groupe en partie éparpillé et dont une des anciennes collègues a refusé de participer au tournage. Les extraits musicaux d’avant-hier et d’hier illustrent bien la profondeur de leurs talents et de leurs techniques qui n’ont rien perdu de leur acuité dans les épisodes plus récents d’enregistrement d’un nouvel album. Cette plongée qu’est Fanny: The Right to Rock dans un autre pan méconnu de l’histoire du rock redonnant la vedette aux deux sœurs Millington d’origine philippine par leur mère est menée avec empathie parmi les soubresauts de la vie et dans un allant très communicatif. Le film a d’ailleurs remporté un des cinq prix du public dans la section des productions canadiennes.
Une émission éducative américaine connaît un succès planétaire qui étonna fortement même ses concepteurs. La réalisatrice Marilyn Agrelo remonte dans Street Gang: How We Got to Sesame Street le fil de l’histoire jusqu’à la création pendant l’ère de l’administration Nixon de ce Childrens Television Workshop (CTW) par Joan Ganz Cooney et Lloyd Morrisett. Des réunions de spécialistes de l’éducation et de la télévision menèrent à la décision d’employer les techniques publicitaires de messages courts et ludiques. La plupart des enfants américains déjà biberonnés à la télé connaissaient par cœur ces messages publicitaires alors qu’ils pouvaient être en retard dans l’apprentissage de la lecture et de l’arithmétique. L’introduction filmée de l’émission et le décor du studio évoquaient toutes deux une petite rue d’un quartier populaire de New York. Sesame Street devient donc le mot de passe et le lieu pour la découverte des mondes de la connaissance, de l’entraide, de la diversité, des conflits de personnalités et des dialogues. L’arrivée de Jim Henson et de sa bande permit, par l’introduction des Muppets, de créer des personnages mobiles doués de la parole et ressemblant aux toutous en peluche de ces enfants. Par la qualité des témoignages, par la mise en lumière très documentée des diverses étapes de production, par leurs hommages sentis au réalisateur Jon Stone et à Henson ainsi qu’à d’autres collaborateurs majeurs moins connus, ce long métrage montre bien la place que peut et doit avoir la télévision dans l’éducation et l’information pour tous les âges et publics. Le film est depuis disponible sur plusieurs plateformes de vidéo sur demande.
Dans le comté de Cook en Illinois qui inclut la ville de Chicago et plus de 40% de la population de cet état américain, existe une cour de la santé mentale créée en 2004. Elle permet à des personnes diagnostiquées et non poursuivies pour crimes violents de participer à un programme spécifique de réinsertion assorti d’un diplôme qui leur octroie alors une plus grande autonomie. Margaret Byrne suit pendant environ cinq ans dans Any Given Day trois de ces patients ainsi judiciarisés dans leurs histoires respectives. Les dédales judiciaires, les déménagements et les relations de Dimitar, Angela et Daniel, avec les autres membres de leurs familles proches ou élargies, sont insérés dans une narration épisodique qui respecte les cheminements de chacun. Des messages textes apparaissent ainsi à l’écran et l’on découvre que la réalisatrice a elle-même de ces problèmes au cours du tournage. Des relations plus amicales entre les sujets du documentaire et la réalisatrice devenue également protagoniste en découlent. Le film s’est mérité avec raison une mention dans la section cinéastes émergents internationaux pour cette implication personnelle et pour le doigté de son approche.
Un réalisateur italien décide début 2020 de montrer les changements que sa ville Venise a connus depuis de nombreuses années. Cela s’intègre dans une quête sur la vie de son père physicien Ulderico né comme sa grand-mère paternelle dans cette ville des Doges. La pandémie qui frappe rapidement et encore plus durement l’Italie modifie le tournage. Molecole (Molecules) devient également pour Andrea Segre un moyen de renouer avec des amis et connaissances. Il se promène en gondole, scrutant cette belle ville maintenant vide de ses bateaux de croisière et de ses touristes mais toujours soumise aux réactions d’une mer toujours recommencée. Segre, en hommage à son père peu disert dans les films de famille en Super 8, relie par ses interactions et par sa caméra à l’épaule ces gens et ces choses comme molécules d’un plus grand tout, captant également le regard de sa petite fille découvrant ce monde.
Un cinéaste, habitant maintenant Toronto, retourne dans sa ville natale, Markdale dans le comté de Grey près de la baie Géorgienne. Son périple sur les Grey Roads, en très beau noir, gris et blanc, lui permet de renouer avec son père, ancien camionneur et avec son grand-père maternel, pilier vieillissant de cette ville qui a connu des jours bien meilleurs. Jesse McCracken, en étant à la fois caméraman et preneur de son de ce retour aux sources, en devient également un des protagonistes puisque la plupart de ses interlocuteurs connaissent sa famille. Le ton est le plus souvent amical dans cette représentation d’une cité, au sein d’une région agricole qui devient, par l’effet du coût des maisons dans la métropole ontarienne, un nouvel espace à habiter en très grande banlieue pour les résidents de cette conurbation.
KinoCulture reviendra lors de leurs sorties en salle, en ligne ou lors de d’autres festivals sur ces films vus dans ce cadre comme My Tree de Jason Sherman, le moyen métrage Silent Voice de Reka Valerik, The Return: Life After ISIS d’Alba Sotorra et Ostrov – Lost Island de Svetlana Rodina et Laurent Stoop, Grand prix étonnant de la Compétition internationale.