Houda Rihani
ENTREVUE.
[ SCÈNE ]
proposée par
Élie Castiel
Elle décroche finalement un rôle important, l’humilité nous empêche de dire « majeur », dans une création québécoise. Un texte (et mise en scène) de Simon Boudreault, le même concepteur de Comment je suis devenu musulman. Houda Rihani campe le personnage de Jihane (dont il faut prononcer le ‘h’ comme il faut), une immigrée marocaine qui, simplement, cherche sa place. C’est dans Je suis un produit (critique ici), titre on ne peut plus générique qui plus que rien, transforme la sphère du théâtre québécois, celui des nouvelles créations, en une aventure de l’inclusion. Cette démarche va-t-elle se transformer en un « grand remplacement ». Nullement, car les dits Québécois de souche seront toujours plus nombreux. D’autant plus que, parmi les groupes ethniques minoritaires, celles et ceux intéressé(es) par le milieu des arts et des médias peuvent se compter sur les doigts de la main. Nous avons rencontré Houda tout de suite après la représentation qui, en passant, elle tenait le rôle d’Amina, dans Les vieux chums, le film de Claude Gagnon. Comme quoi, les choses commencent à bouger.
Éviter les clichés
de la victimisation
Le texte de Simon Boudreault est pensé de telle façon qu’il semble avoir été fait, en grande partie, pour vous. Une façon comme une autre d’évoquer Comment je suis devenu musulman et de situer l’altérité dans un terrain « ouvertement accueillant ».
Je pense qu’il est fait pour tous les personnages. Jeff et les autres aussi. Est-ce que le rôle de Jihane aurait pu être interprété par quelqu’une d’autre ? La question est posée, bien entendu. Je connaissais Simon depuis longtemps, Il m’a proposé le rôle. Je me réjouis de cette opportunité.
Dans le communiqué de presse reçu, vous faisiez mention qu’il était temps pour vous d’obtenir un rôle important dans une pièce de théâtre ici, au Québec. Que le temps d’attente était trop long. Est-ce encore cette situation a vraiment changé ?
De ce que j’entends, de ce qu’on me dit, les autres communautés, pour ne pas parler d’une seule en particulier, ailleurs ça se passe autrement. Ailleurs, c’est surtout Toronto et dans les autres provinces anglophones. Mais bon, je n’ai pas pu m’en rendre compte.
Est-ce l’expérience ailleurs vous tenterez ?
Catégoriquement « non ». Je n’ai plus le courage ni l’énergie, ni l’envie d’expérimenter. D’autant plus que je suis, en plus de l’arabe maghrébin, ma langue véhiculaire, francophone. Le français, langue qui fait partie de mon ADN. Il faut rappeler que pour une bonne partie de la population marocaine, notamment urbaine, de nos jours, le français n’a pas déserté depuis le départ des autres communautés, comme les Chrétiens et les Juifs. Certains ont même décidé de rester et n’ont absolument aucun problème à communiquer en français. Bien le contraire, c’est encore la langue des affaires. Sur un autre ordre d’idées, retourner au Maroc où soit dit en passant, la culture se développe rapidement, y retourner ce n’est plus possible, ni pour moi, ni pour mon mari, qui est réalisateur et n’a pas encore trouvé sa place ici. Juste l’idée de ces allers-retours me déconcerte. Je reste donc ici… et pour le reste, « Incha’Allah » (À la grâce de Dieu). Recommencer à neuf est une étape insurmontable, remplie de désagréments de toutes sortes.
Je n’ai plus le courage ni l’énergie, ni l’envie d’expérimenter. D’autant plus que je suis, en plus de l’arabe maghrébin, ma langue véhiculaire, francophone. Le français, langue qui fait partie de mon ADN. Il faut rappeler que pour une bonne partie de la population marocaine, notamment urbaine, de nos jours, le français n’a pas déserté depuis le départ des autres communautés, comme les Chrétiens et les Juifs. Certains ont même décidé de rester et n’ont absolument aucun problème à communiquer en français.
Cessons avec les mauvaises augures. Est-ce que Je suis un produit devrait, en principe, vous ouvrir les portes vers d’autres propositions ?
Je garde espoir. Vous savez, moi, ici, j’avais fait le deuil de cette carrière. De plus, je ne voulais plus d’avoir d’agent. On me proposait des rôles muets. Dans mon esprit, dégradant étant donné que je parle la langue française. En fait, en toute considération, il s’agit d’un système bien établi avec ses propres règles, ses idéologies, ses concepts de mise en écriture.
Sous des dehors de comédie, se cachent mille et une variations sur le racisme inconscient, sur le refus de l’autre, sur la peur des autres cultures qui pourraient effacer celle de souche. Mais ce phénomène ne se limite pas, de part mes observations, à ceux de confession musulmane. Et pourtant, le Gouvernent, à coups de tirades, tente de changer la situation.
Effectivement, vous avez raison ; mais il y a un grand décalage entre ce qui se passe dans le terrain et les souhait des autorités qui nous dirigent. Les résultats ne sont pas toujours, pour ne pas dire presque jamais, probants.
Dans la pièce, vous oscillez entre un passé d’anthropologue et une réalité économique qui ne jure que par les lois de l’économie, plus particulière du profit, évoquant par-là même, le titre de la pièce. Comment se fait cette transformation dans votre jeu ?
En fait, vous l’auriez sans doute deviné, l’anthropologie aide Jihane à établir les liens entre consommateurs et profits. C’est une question de comprendre les habitudes des gens. Dans un sens, dans son nouveau travail au sein d’une entreprise de marketing en difficulté, son expérience d’anthropologue lui assure une vision réaliste de l’économie capitaliste.
Sur un autre ordre d’idée, entre vous et le public, avez-vous senti une sentiment de distanciation de leur part face à votre rôle ?
Bonne question, un peu périlleuse, dois-je l’avouer. De par le sujet traité, quelqu’un qui se cherche du travail, et qui porte le voile et se débrouille bien que difficilement à trouver du travail, c’est quasiment un sujet tabou ici. Ce qui se reflète dans la salle, c’est qu’il y a un malaise dont il est difficile de comprendre la portée. Mais c’est bien le but des créateurs, de créer parmi l’auditoire, ce malaise, ces situations auxquelles ils ne sont pas confrontés quotidiennement. Pour qu’ils réfléchissent. En en réfléchissant, les idées se forment. Il faut néanmoins l’avouer, pour le meilleur ou pour le pire. Nous souhaitons vivement la première solution. Mais ce qui importe le plus, c’est d’éviter ce sempiternel esprit victimaire. En quelque sorte, s’imposer, quelles que soient les étapes à suivre.