Image+Nation 2020 [ Deuxième partie ]
MANIFESTATION
[ Fictions ]
texte
Élie Castiel
Il fut un temps, jadis, il y a de nombreuses années, où les films de fiction, tous métrages confondus, programmés à Image+Nation célébraient les joies, les plaisirs et les transgressions occultes de la marginalité. Dans la plupart des cas, appui massif des spectateurs. Et de temps en temps, des films romantiques à l’eau de rose, happy-ending de mise, ne laissaient qu’un sourire moqueur, pince-sans-rire.
Avec les années, revendications sociales obligent, les nouveaux cinéastes homosexuel(les) appuient à s’y méprendre le droit à la vie de couple, les liaisons amoureuses qui durent (et pourquoi pas toute une vie); une façon comme une autre non pas de dialoguer harmonieusement avec l’hétéronormativité majoritaire, mais surtout d’inscrire l’homosexualité dans un contexte global, sans conditions, se détachant une fois pour toutes de ce mot qu’il faudra bannir une fois pour toutes, « tolérance ».
Les metteur(es) en scène des films programmés cette année l’ont compris. Voici finalement l’individu homosexuel naviguant le plus naturellement du monde dans un espace amoureux de tous les possibles. Bien plus, se trouvant dans un laboratoire d’expression qu’on appelle la vie et qui consiste, en partie, à trouver son « âme-sœur ». En quelque sorte, « … pour ne pas vivre seul », comme dirait la chanson de Dalida, une des égéries de la communauté LGBT.
Le couple comme
antidote à la marginalité
En exergue, Jonaki Porua / Fireflies de l’Assamais Prakash Deka. Une surprise étonnante. Une révélation. Un courage déterminé en réaction à une culture conservatrice qui ne recule devant rien pour dénigrer la différence afin de mieux se sentir dans sa peau (séquence subtile du viol du personnage principal par deux adolescents). Dans le même temps, le récit a lieu dans une de ses contrées du monde où le « dominant » (l’actif) ne se considère pas comme homosexuel lors d’une relation. Seul « le dominé » (le passif) l’est. Politique des jeux de pouvoir, patriarcat sexuel en quelque sorte qui consiste à déterminer ces jeux de l’intime et du caché comme des exercices de pouvoir. Le plaisir, l’orgasme est rapide, furtif et demeure le sceau dictatorial d’une distribution des rôles que seul le « vrai mâle » est capable de proférer. C’est en partie ce qui se passe dans ce film d’une beauté naturel extraordinaire. Et comble de l’intelligence, sans le montrer. Une terre vierge, celle d’un village où tous se connaissent et par conséquent, tout ce sait.
Sans narguer les beautés d’une certaine catégorie de films de l’industrie Bollywood (parmi lesquels ceux de Sanjay Leela Bhansali et autres Farah Khan (également excellente chorégraphe), Deka évite le genre sans le défier, essentiellement pour donner au cinéma indien un nouveau souffle, sans danses ni chansons; en quelque sorte situant la réalité (ici, rurale) dans un contexte de quotidienneté. L’exception n’est plus une marginalité, mais une habitude. Le transgressif se perçoit, à force de détermination, comme une nouvelle réalité sociale. Le film de Deka est un essai psychologique sur un cas de transformation transgenre en gestation. Bouleversant. Banjamin Daimary est stupéfiant de vérité.
Cette fois-ci, c’est en Sibérie que Viatcheslav Kopturevskiy raconte une histoire d’amour homosexuel. À l’illustration graphique, le jeune cinéaste préfère la nuance, l’abstraction du plan, à la manière d’un Alexandre Sokurov, lui-même s’obligeant à teinter le plan, de presque falsifier le cadre, mais en même temps, cette lacune lui donne une force, une éthique, une morale sans précédent. Kopturevskiy fait partie de ces Nouvelles voix qui n’ont guère besoins d’illustrer à fond, à nu, les diverses manifestations de l’expérience humaine. Oui, bien entendu, il y a deux ou trois scènes de contact physique dans Siberia & Him / Syberia, mais elles sont filmées avec une telle dextérité par une caméra si discrète qu’elles ressemblent à des tableaux érotiques animés.
Même souci de la teinte délicate chez Ray Yeung dans son Suk Suk / Twilight’s Kiss (Suk Suk veut dire Oncle Oncle); un film de gestes, d’expressions faciales, de silences ahurissants, d’espoirs amoureux et de la prise de conscience d’avoir mené une vie selon les conventions sociales sans se soucier de soi. Un film bouleversant mené par deux acteurs extraordinaires, Tai-Bo et Ben Yuen, comme si les personnages qu’ils campent étaient ceux qu’ils sont dans la vie. Et la femme de l’un, Patra Au, qui devine tout, mais le garde dans un silence religieuxPlus ouvertement, la relation lesbienne dans La nave del olvido / Forgotten Roads, de Nicol Ruiz Benavidez est l’exemple de récit qui confirme que tout peut changer du jour au lendemain, où que l’on soit. La mise en scène, discrète, privilégie des moments entre le personnel et le familial, entre l’intimité amoureuse, à peine effleurée et surtout un goût pour le récit affectif qui se confirme de scène en scène. Tout en douceur, bien sûr, souligner un message de tolérance dans une société qui ne cesse de suivre les codes d’un catholicisme désuet en ce qui a trait aux nouvelles réalités sexuelles.
Le couple formé pour la vie entière, en voie de réalisation, désuni ou en rupture. Qu’importe. Les nouvelles homosexualités s’inscrivent dans un nouveau siècle qui tarde encore à se réaliser puisque les mauvaises habitudes du siècle précédent détiennent encore droit de cité… et les nouvelles n’osent pas se manifester dans leur plénitude.
Advokatas / The Lawyer / Tomber pour Ali, de Romas Zabarauskas. Par le truchement du récit horizontal, donc facile d’accès, le jeune cinéaste n’en demeure pas moins inspiré par la forme, l’esthétique de l’ensemble, qu’il s’agisse du plan, du mouvement de l’appareil ou des décors. Tout en soulignant que la direction d’acteurs qui montre que non seulement ils sont imprégnés de leurs personnages, mais suscitent un intérêt constant chez les spectateurs. Un film d’atmosphère, de non-dits, de nuances qui éclaboussent au gré des situations et essentiellement, un film homosexuel qui s’inscrit dans la mouvance sociale globale sans crier gare. Par instinct, par pure conviction. Sur ce plan, Zabarauskas est un gagnant.
Cinq longs métrages donc auxquels nous pourrions ajouter la tendresse jiubilatoire et le sens du partage dans Unsound, de Iam Watson; le goût du risque dans le sensuel El cazador / Le jeune chasseur , du prolifique Marco Berger; ou encore, les aboutis Los fuertes / The Strong Ones de Omar Zúñiga Hidalgo, ou El maestro / L’enseignant des cinéastes Cristina Tamagnini et Julián Dabien, deux exemples où l’intolérance prend des dimensions de lutte interne pour les « victimes ».
Et pourquoi pas Futur Drei / No Hard Feelings / Wir, tourné en Allemagne, où la réalité gaie persane reçoit dans ce cas-ci, un traitement d’honneur. À juste titre, en raison des risques encourus, du courage des comédiens et des scènes érotiques, certes brèves, mais forte de persuasion.
Et puis, pour ne pas gâcher notre plaisir, Minyan, sur l’homosexualité dans le milieu orthodoxe juif ashkénaze (bien entendu, puisque les Sépharades ne sont pas encore prêts pour un tel défi narratif). Le film est présenté avec le court sujet de Sarah Smith, Black Hat. Dans les deux cas, des influences cinéphiliques se font sentir ; dans le premier, celle, sans doute de Lumet ; dans le deuxième, celle de Bresson où les objets détiennent une place dans le récit qui transforme le cinéma en 7e art, comme il devrait l’être.
Le couple formé pour la vie entière, en voie de réalisation, désuni ou en rupture. Qu’importe. Les nouvelles homosexualités s’inscrivent dans un nouveau siècle qui tarde encore à se réaliser puisque les mauvaises habitudes du siècle précédent détiennent encore droit de cité… et les nouvelles n’osent pas se manifester dans leur plénitude.
À l’an prochain, pour un festival « Live ».
PHOTOS : Unsound / El cazador / Los fuertes
PHOTOS : El maestro / Futur Drei / Minyan / Black Hat (court métrage)
Image+Nation 33
En ligne
Jusqu’au 06décembre 2020