Image+Nation
2023 > III
texte
Élie Castiel
Fin de parcours
Les
amours
imaginaires
masculines
Quelques autres fictions de long métrage pour finaliser notre couverture de la 35e édition d’Image+Nation, dont la programmation, riche et influente, confirmait que l’évènement est essentiel dans la dynamique sociale québécoise. L’homophobie et autres phobies reliées à l’orientation sexuelle et de genre n’ont jamais été aussi présente dans la sphère mondiale.
Si le Québec, dans un sens, est épargné, ou du moins laisse voir les possibles soubresauts de manière beaucoup moins virulente, force est de souligner que dans d’autres régions du monde, la situation est plus complexe ou empire.
Les films que nous avons choisi parle d’amour ou mieux encore, de la difficulté d’aimer pour deux personnes du même sexe; les acquis qu’on croyait gagnés d’avance se perdent parfois à l’intérieur de ces idéologies conservatrices et populistes qui émergent dans plusieurs parties de l’Occident.
Mais des films sont faits, même si la grande majorité ne trouvent pas de distributeurs dits « libres » et « ouverts » à la question. Image+Nation et leurs acolytes internationaux sont-ils des évènements associés essentiellement à la communauté LGBTQ+?
La queeritude s’assume, s’expose, rend la réappropriation de ce terme, jadis péjoratif, en un instrument de revendication politique. On peut s’en rendre compte dans le très beau All the Colors of the World Are Between Black and White (Gbogbo awọn awọ ti aye wa laarin dudu ati funfun) du Nigérian Babatunde Apalowo. Si le plan fixe est privilégié, ce n’est pas simplement par pur choix esthétique, mais plus particulièrement pour exposer cette paralysie d’aimer, d’être aimé et de participer à une ouverture de soi. Bien entendu, nous sommes dans un pays foncièrement homophobe où ce choix de vie, à défaut d’être vigoureusement caché, se doit d’être vécu dans l’effondrement de la pensée libre la plus totale. Par sa simplicité narrative, le cinéaste revendique sa prise de position et met le pays au pilori à l’intérieur d’un procès politique tout à fait symbolique et d’une force magistrale.
Liuben, coproduction entre l’Espagne et la Bulgarie, étonne par sa liberté de ton; le monde presque irréaliste que s’invente Venci D. Kostov, qui a, apparemment, étudié le cinéma en Espagne, s’apparente à deux façons de vivre son homosexualité. D’une part, celle ouverte, espagnole, depuis quelques décennies, après la mort de Franco. Et l’autre, dans une Bulgarie aux tonalités orthodoxes auquel le cinéaste n’adhère pas, justement en l’ignorant dans son processus narratif. Tout semble se passer dans le meilleur des mondes possibles. Et les amours entre le jeune héros, qui vit en Espagne et retourne chez lui, en Bulgarie, pour les funérailles de son grand-père, et un jeune gitan local (lui aussi exclu de par son appartenant sociale), sont de l’ordre de l’imaginaire. Mais Kostov croit bien faire en lui apportant un soubresaut de tragédie grecque qui sied magnifiquement au film. Magnifique.
Même accent de drame dans Fireworks (Stranizze d’amuri), de l’Italien Giuseppe Fiorelli. Sa Sicile natale est le lieu de tous les possibles, mais cachés, en matière d’amour entre deux jeunes hommes, voire même adolescents. Que dire de plus lorsque la famille de l’un et celle de l’autre apprennent leur relation. Les femmes réagissent par orgueil, les hommes par la violence. Mais l’homophobie de ces années 1980 se font sentir, jusqu’à éclipser le soleil brûlant et la beauté des lieux. Ces paradoxes, le jeune cinéaste les montre avec un sens rigoureux du symbolisme concret et irréversible.
De l’Hexagone, coproduit avec la Belgique, Le paradis, de Zeno Graton, ne jure que par l’audace qu’il entreprend pour mener à bien son pari. Deux jeunes d’un centre fermé pour mineurs délinquants connaissent les premiers émois d’un amour qui n’ose pas dire son nom, mais qu’ils revendiquent avec un sens assez adroit de la liberté de mouvements. Même s’ils doivent tenir leurs impulsions secrètes. Et de complications en complications, une finale inattendue et magique. Sans oublier de souligner le travail habité de deux jeunes comédiens, aussi beaux que talentueux.
Dans Norwegian Dream, coproduction entre la Norvège, la Pologne et l’Allemagne, Leiv Igor Devold semble tenir ses influences de cinéastes comme Brunot Dumont, Ken Loach ou encore des frères Dardenne. Mais conscient de son originalité, il construit un scénario où la politique économique de l’européanité semble appartenir à un concept illusoire, qui n’existe qu’en théorie, garantissant les rencontres des membres de cette Union européenne qui, depuis la Guerre entre l’Ukraine et la Russie (ou plutôt la Russie contre l’Ukraine) ne tient plus debout face aux divergences – même son de cloche pour les Nations unies, mais ça, c’est une autre histoire – Une usine où on traite les poissons, des travailleurs qui veulent se syndiquer, des employés qu’on achète, un jeune Polonais qui n’arrive pas encore à donner du sens à son orientation sexuelle; un jeune noir (fils adopté du patron de la boîte) qui passe presque toutes ses nuits comme Drag Queen et se charge des saumons et autres salmonidés le jour. Une histoire d’amour, ou presque. Des échanges de paroles mal prononcées. Et une finale abrupte, mais l’une des plus belles du cinéma contemporain, l’image parle d’elle-même.
L’amour dans tous ses états, justement parce qu’il ne peut s’exprimer pour cet Iranien, marié, femme apparemment ouverte à la vie moderne, deux jeunes filles adorables. Pourquoi ont-ils quitté soudainement leur pays? On ne vous dira rien, simplement qu’il s’agit d’un des meilleurs films de l’année. Aucun graphisme licencieux, des séquences d’une subtilité à fleur de peau, mais des corps homosexualisés (Iman, le principal intéressé, se livre à des combats dans un club de lutte dans ce coin de Suède). L’Irano-suédois Milad Alami, profitant de la liberté accordée aux cinéastes dans son nouveau pays d’adoption, filme la routine écrasante du quotidien, le conflit d’un passé complexe qui hante la pensée du personnage central. Et lorsque confronté à une réalité de tous les possibles, une sorte de léthargie s’installe. Opponent (Motståndaren / Takhfid) – qui veut dire « adversaire » – renvoit les spectateurs aux multiples sens de ce nom, octroyant au film une aura de légitimité. Un film ample, rigoureux, sensible, d’une subtilité contagieuse. Ça nous laisse penser que si le régime politique iranien est parmi les plus abjectes du monde, le cinéma, lui, brille par son originalité et sa force d’évocation.