Image+Nation #37
ÉVÈNEMENT
[ Cinéma ]
Élie Castiel
Chroniques
queer
Le nombre de sorties à caractère LGBTQ+ sur nos écrans (États-Unis-Canada-Québec confondus) augmente, certes, mais pas au point où les festivals de cinéma queer doivent être remis en question.
La trente-septième édition d’Image+Nation a peut-être réduit le nombre de présentations, mais force est de souligner que les films programmés, dans la grande majorité, faisaient preuve d’une maturité visant à souligner la pertinence des thèmes choisis, la rigueur d’écriture dans certains scénarios et, bizarrement, moins de séquences à caractère érotique, les créateurs et créatrices s’évertuant à axer leur objectif sur la psychologie queer au cours de ce premier quart du nouveau siècle.
En tout et pour tout, nous avons visionné un peu moins de quinze films, que nous proposons de vous faire découvrir, présentés par ordre alphabétique en deux sections, d’une part les importants, de l’autre ceux dont on peut exprimer notre opinion de façon expéditive, ce qui ne veut pas dire automatiquement qu’il s’agisse de productions moindres.
Les incontournables
Une surprise de taille que Drive Back Home, le très beau film du Canadien Michel Clowater. Des funérailles dans une petite localité du Nouveau-Brunswick. Parmi les absents, le fils qui vit à Toronto, qu’on vient d’arrêter pour indécence en public. Nous sommes dans les années 70. La rencontre fortuite de deux frères qui cachent un secret de jeunesse que nous ne dévoilerons pas (ce n’est pas ce que vous pensez, mais… ). Un road-movie hilarant et dans le même temps rempli d’un humanisme déchirant. Le vécu gai tel qu’il se pratiquait à une époque où il fallait tricher avec le réel, intransigeant, déshumanisant, un machisme qui, soulignons-le, refait surface dans certaines tranches de la société.
Nous poursuivons avec Duino, à notre avis, le « meilleur film » gai de cette édition. Ils sont deux à réaliser ce film d’une force dramatique transcendante, Juan Pablo di Pace et Andrés Pepe Estrada. Le passage du temps dans l’amitié entre deux garçons suscitent des interrogations sur la socialisation de l’individu queer dans une dynamique globale hétéronormative. Les deux coréalisateurs en sont conscients et comme illustration de ce constat, proposent un film qui dépasse le réel pour le transformer en une géographie de tous les possibles. Jeu des acteurs prenant, senti.
Pour Marco Calvani, qui signe dans High Tide (Maré alta) son premier long métrage, Provincetown hors-saison constitue tout de même son lot de petites surprises, surtout lorsqu’il est question d’une rupture amoureuse. Il est Blanc, le nouveau venu est Noir. Est-ce possible ? Non pas à cause de la différence de races, mais parce que le premier voudrait renouveler son visa (il est étranger et souffre d’une peine d’amour) et le second est Américain. Le résultat, un film tout en mélancolie, la nostalgie de ces possibles étreintes et tout ce qui suit. Sensuel, émouvant.
L’Indien Sridhar Rangayan, suivant les codes de Bollywood, signe Kuch Sapney Apne (Dreams Such as Ours) ; les enjeux mélodramatiques sont présents, les écueils familiaux sont encore plus virulents. Ici, ils ne s’agit pas d’une relation entre un jeune homme et une jeune fille de religions ou de castes différentes, mais de celle entre deux jeunes hommes. Les enjeux sont différents. La mère est ouverte d’esprit, le père non. Et l’intrigue se poursuit dans le meilleur des mondes possibles. Et d’autres surprises qui alimentent la position du réalisateur en ce qui concerne la réalité LGBTQ en Inde. Rêve et non pas réalité si on se fie aux apparences.
Sabbath Queen, le très beau et radical documentaire de Sandi Simcha Dubowski (on se souviendra de Trembling Before G-d) qui à travers 21 ans de tournage, retrace les voies incontournables d’Amichai Lau-Lavie, un rabbin gay… et tout ce que vous pouvez imaginer. Mais le film explore par la même occasion le phénomène religieux du judaïsme qui, parfois comme c’est le cas, n’a pas beaucoup changé dans le discours majoritaire depuis des millénaires. Notamment en ce qui a trait à l’homosexualité. Intransigeant, provocateur, intentionnellement graphique et surtout, ne pas abdiquer devant le mépris et défendre l’État de droit, une des composantes de la liberté de mouvement et d’expression dans le monde libre.
De la Grande-Bretagne, Mikko Mäkelä nous conduit directement dans l’univers du sexe « lucratif » à l’heure des réseaux sociaux. Sebastian ou celui par qui l’argent facile arrive facilement, sauf que, le plus souvent les clients ont toujours raisons, et que dans la vie de tous les jours, on poursuit des études, et puis, et puis, et puis… si l’on retient quelque chose de ce film volontairement âpre (comme notre époque), cruel (encore, comme notre époque), sensuel (selon l’avis de chacun), aventureux (un acquis possible de la jeunesse, particulièrement lorsque le corps le permet), et encore plus d’enjeux de toutes sortes se permettent des proposer une radiographie à la fois sincère et hautaine de notre vécu interdit.
Une rencontre à New York entre deux ex-amants, des hommes d’une autre époque, l’un Russe, l’autre de Lituanie. Un huis clos surprenant, magnifiquement filmé, s’en tenant essentiellement aux mots ; on parle de l’ex-Union soviétique, du Goulag, bien entendu de politique, du mariage hétéro en quelque sorte forcé par les circonstances et du coming-out légiféré par le passage du temps. Dans The Writer, la mise en scène de Romas Zabarauskas a ceci de particulier qu’elle encadre le temps et l’espace dans une sorte de bulle protectrice qui permet aux deux personnages dont il est question de retrouver un semblant d’humanité que le cinéaste transforme en lieux des possibles.
Puis, Young Hearts (Belgique) d’Anthony Schatteman. Elias (excellent Lou Gossens) est un garçon comme les autres jusqu’à ce qu’il échange quelques baisers avec Alexander (très efficace Marius De Saeger), ce qui le met dans l’embarras face à un environnement plutôt pas si ouvert à la différence comme on pourrait s’y attendre. C’est un peu mélo, et tant mieux, c’est provocateur, mais pas trop, c’est larmoyant, et nous aimons ça, et surtout c’est une ouverture envers la communauté LGBTQ qui a grand besoin de renforts à un moment où les virages vers la droite radicale se font de plus en plus pressants.
Le nombre de sorties à caractère LGBTQ+ sur nos écrans (États-Unis-Canada-Québec confondus) augmente, certes, mais pas au point où les festivals de cinéma queer doivent être remis en question.
Du côté des femmes, Lesvía (Lesbienne) de la Grecque Tzeli Hadjidimitriou est une ode aux lesbiennes d’une époque révolue. La mer Égée, plus justement dans le village d’Erossos, dans l’íle grecque de Lesbos où au cours des années 90, des femmes homosexuelles des quatre coins du monde se donnaient rendez-vous pour célébrer leurs amours, leur différence et leur sexualité. Mais pour les habitants de ce petit paradis perdu, qui se considèrent comme « lesbiennes » ou « lesbiens », selon le sexe, pourquoi avoir inventé ce terme par les sociologues ? Bonne question en fait, parmi tant d’autres que la réalisatrice, « lesbienne » elle-même au sens propre comme au figuré, pose pour dresser le bilan d’une communauté dont on parle peu – les gays, dommage, détenant depuis toujours, les honneurs. Et aujourd’hui, qu’est-il arrivé de ce lieu paradisiaque ? La réponse se trouve probablement chez les femmes homosexuelles du monde qui, peut-être, pourront élargir les possibilités de leur existence.
Un autre film lesbien dans ce festival, Gondola, sans dialogue, mais d’une maîtrise technique remarquable qui fait penser à un Otar Iosseliani de la belle époque. Il y a même du Jacques Tati renouvelé à la sauce géorgienne et la relation qui finit par se déclarer entre deux jeunes femmes, conductrices d’un téléphérique perdu quelque part en Europe face à paysage magnifique et qui, ô miracle, rallie tous les habitants des lieux. Pour l’Allemand Veit Helmer, un poignant poème d’amour dédié à la différence par la présentation d’une nature saine, calme, hautement picturale et, si le cœur vous en dit, d’une délicatesse à toutes épreuves.
Les vite-dits
D’une part, Mascarpone (Maschile plurale), de l’Italien Alessandro Guida, qui renoue avec les comédies sentimentales à domination hétéronormative dans un milieu queer qui rend le film plus original. Et puis, The Astronaut Lovers (Los amantes austronautas) du régulier à I+N Marco Berger, qui aurait pu assurer une mise en scène moins verbale. Pedro et Maxi meurent d’envie de… vous savez quoi. Sauf qu’ils y vont par plusieurs chemins pour… Mais ils sont tellement attirants, qu’on a envie d’être de leur bord dans la façon de s’y prendre. Et finalement, un film que nous avons reçu en retard, Who Wants to Marry an Astronaut? (¿Quién quiere casarse con un Austronauta?), de David Matamoros, une coproduction entre l’Espagne et l’Argentine, autre comédie sentimentale comme les deux précédentes mentionnées, sauf qu’ici, le désir existe, la volonté de s’avouer vainqueur ou vaincu s’invente des situations délicieuses, l’interprétation est remarquable, les sentiments sont vrais et que de l’ensemble, le vécu LGBTQ ne peut être dissocier de la dynamique sociale occidentale des pays libres. En plus qu’en sent le petit hommage latent à Almodóvar.
En attendant, aux autres lieux instables de la planète d’emboîter le pas vers la découverte d’une sexualité injustement contestée, réprimée. Les acquis ne sont pas éternels.