Insoutenables longues étreintes
CRITIQUE.
[ Scène ]
★★★★
texte
Élie Castiel
Bleu
nocturne
On se connaît ou on se rencontre. On baise ou à peu près. Ou complètement. Autant les femmes que les hommes décrivent leurs intimités. Si l’on se fie à la réaction ce soir de Première, ça parle aux spectatrices et aux spectateurs d’une salle remplie à craquer.
Avant le début, le présentateur évoque brièvement la guerre en Ukraine et précise que l’auteur de la pièce, le Russe Ivan Viripaev comptait, dans son pays, verser ses droits d’auteur à un fonds pour aider les Ukrainiens. Cause perdue, comme on le sait, avec ce que cela comprend comme conséquences.
À compter de ce moment, du moins pour l’auteur de ces lignes, on ne peut enlever sa pensée de la situation actuelle et tenter de trouver des parallèles avec la pièce.
Viripaev, proche de la cinquantaine, marginal, séjours fréquents en prison. Par intuition, une plume libre, dévergondée, parallèle, sans retenue, prête à provoquer, intentionnellement ou pas, le plus entêté des récalcitrants.
De New York à Berlin, quatre jeunes adultes, mûrs et vaccinés, sentent le besoin de se soumettre à une sorte d’auto-confession, particulièrement en ce qui a trait aux affaires du sexe : je le fais, je le fais pas, je jouis, je ne jouis pas, par en arrière ou pas, j’avale à peine ou presque pas et toutes sortes d’afféteries qui débanalise le quotidien.
Si d’une part, ces joutes érotiques peuvent finir par laisser (bien que certains spectateurs ce soir-là semblaient, constamment, avoir les oreilles bien tendues), on se rabat sur la magnifique mise en scène de Philippe Cyr, expert en la matière.
Une construction architecturale où domine le bleu, parfois agrémenté vicieusement de rouge. Dans le jeu, une pure chorégraphie des corps, des éloignements l’un et l’une des autres. Soudain, des rapprochements. On se raconte, on parle sur les autres. On devine les suites de ces histoires d’amour et de « simple cul », de « baise ». Qu’importe, la mise en scène se joint inlassablement à l’écriture de Viripaev.
Impulsion (comme le manifeste si bien le personnage tenu par Christine Beaulieu), intuition… C’est autour de ce constat que la pièce de Viripaev amoncelle les objets de son propos, comme il le fait pour les personnages dans une sorte d’apothéose finale qui les unit dans une sorte d’univers parallèle en devenir.
Toutes ces propositions, pour survivre, pour épater la galerie et s’épater soi-même. Bien entendu, comme on peut s’y attendre, d’un point de vue hétéronormatif; de nos jours, c’est important de le soulever.
Deux comédiennes sensationnelles, Christine Beaulieu et Joanie Guérin. L’espace scénique (une sorte de quadrilatère qui tourne parfois en rond) leur appartient et elles s’amusent à le déconstruire à leur guise.
Il y a aussi Marc Beaupré et Simon Lacroix. Pour eux, ce polygone leur donne le droit d’exister. Ils infusent leur goût, comme tous les hommes, du sexe jouissif. Des moments de tendresse, existent-ils dans ces Insoutenables longues étreintes? Peut-être que oui, mais pas dans l’univers présent.
Déjà, le titre avertit le public des véritables intentions. Encore une fois, la mise en contexte de Cyr exploite merveilleusement bien les arcanes d’un récit qui n’en est pas un.
Impulsion (comme le manifeste si bien le personnage tenu par Christine Beaulieu), intuition… C’est autour de ce constat que la pièce de Viripaev amoncelle les objets de son propos, comme il le fait pour les personnages dans une sorte d’apothéose finale qui les unit dans une sorte d’univers parallèle en devenir.
Et pour l’auteur de ces lignes, il y a peut-être là des signes avant-coureurs d’un conflit armé qui cherche inépuisablement à retrouver ces territoires presque perdus d’une démocratie atteinte.
ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
Ivan Viripaev
Traduction
Galin Stoev, Sacha Carlson
À partir de Nevynosimo dolgiye ob’’yatiya
Mise en scène
Philippe Cyr
Interprètes
Christine Beaulieu, Marc Beaupré
Joanie Guérin, Simon Lacroix
Lumières
Cédric Delorme-Bouchard
Décor
Odile Gamache
Costumes
Wendy Kim Pires
Musique
Vincent Legault
Durée
1 h 50 min
[ Sans entracte ]
Diffusion & Billets
@ Prospero
(Salle principale)
Jusqu’au 22 avril 2023
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon.★★★ Bon.
★★ Moyen.★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]