JE VOUS SALUE…
William Friedkin
< 1935-2023 >
| In Memoriam |
texte
Pascal Grenier
La
perte
d’un
géant
Un des réalisateurs les plus emblématiques et les plus importants du Nouvel Hollywood (New Hollywood), William Friedkin (Billy pour les intimes) est décédé à son domicile à l’âge de 87 ans.
Véritable virtuose et enfant prodige du cinéma américain, Friedkin a réalisé plusieurs films importants durant sa longue et tumultueuse carrière. De par son style novateur, sa capacité à explorer des thèmes complexes et sa grande maîtrise technique, The French Connection (La filière française) a redéfini le genre du drame policier. Avec son style quasi documentaire qui rappelle Z de Costa-Gavras et dans sa représentation authentique du monde policier, ce n’est pas un hasard si le film a récolté 5 Oscars (dont celui du Meilleur film et du Meilleur réalisateur). Son influence va engendrer une vague de drames policiers tendus au style plus réaliste où les personnages y occupent une place importante au même niveau que l’intrigue. Mais peu ont réussi à reproduire le réalisme captivant du chef-d’œuvre de Friedkin. Le film est désormais célèbre pour ses scènes d’action – en particulier la fameuse poursuite en voiture à New York considéré encore aujourd’hui comme la plus efficace de l’histoire du cinéma – filmée de manière immersive, donnant au spectateur l’impression de vivre l’action aux côtés des personnages.
Qui parle Friedkin parle bien sûr de The Exorcist (L’exorciste) son film auquel il sera toujours associé. Il a élevé le genre de l’horreur à de nouveaux sommets en utilisant des effets spéciaux et des techniques de mise en scène innovantes et son succès planétaire le rendit célèbre à tout jamais. Quatre ans plus tard, son film Sorcerer / Le convoi de la peur (un audacieux remake du classique Le salaire de la peur de Clouzot) est un échec commercial retentissant alors que le film fait pâle figure au guichet en sortant une semaine plus tard et en compétition avec Star Wars. Longtemps reléguée aux oubliettes, cette oeuvre maudite a été redécouverte quelques décennies plus tard et est désormais reconsidéré comme un grand film aujourd’hui. En 1980, Friedkin fait les manchettes avec Cruising (La chasse), un thriller controversé cruel et tendu à souhait avec Al Pacino et se déroulant dans le milieu des bars gais à New York et dans la communauté LGBT. Des activistes s’objectent contre le film et sa représentation sensationnaliste de la culture gaie et nuisent au succès du film. Mais certains ont oublié qu’avant son succès de The French Connection, Friedkin avait pourtant réalisé The Boys in the Band en 1970 et l’un des premiers films à aborder le thème de l’homosexualité dans le cinéma américain.
En 1985, il réalise To Live and Die in L.A. (Police fédérale Los Angeles) qui malgré un succès commercial plutôt tiède permet à Friedkin de renouer avec le drame policier sec et violent. Très stylisé et typique de l’esthétique des années 1980, ce drame policier ultra violent qui flirte avec l’esthétisme néo noir est un des plus innovateurs et audacieux de son époque et confirme que Friedkin n’a rien perdu de sa verve avec ce nouveau chef-d’oeuvre moderne qui a permis au public de découvrir une future vedette montante en Willem Dafoe dans le rôle du méchant Rick Masters. Encore une fois, Friedkin est dévasté par le semi-échec du film et ses films subséquents sont plus difficiles pour lui où il alterne avec de nouveaux échecs commerciaux et des projets pour la télévision.
En 2012, il revient en grande forme avec Killer Joe, une adaptation d’une pièce de théâtre du même nom et mettant en vedette Matthew McConaughey, inoubliable et méconnaissable, dans le rôle-titre. Après une absence de plus de dix ans et peu longtemps avant son décès, Friedkin venait de compléter un nouveau long métrage (The Caine Mutiny Court-Martial qui sera présenté en avant-première à la Mostra de Venise dans quelques semaines.
Réputé pour son franc-parler et sa personnalité intense, Billy ne s’est jamais gêné pour critiquer la politique des studios américains de telle sorte qu’il s’est davantage fait des ennemis au fil des ans et qu’il fait partie de ces grandes figures légendaires du cinéma américain qui ont souvent payer le prix si l’on en juge par les nombreux projets avortés auxquels il était associé. Et malgré certains films mineurs ou quelques ratés dans sa filmographie, peu sont ceux qui peuvent se tarir d’avoir réalisé un chef-d’œuvre dans leur carrière. Le grand Friedkin en a pondu quatre, ce qui n’est pas peu dire.