Josephine. A Musical Cabaret
@ Segal Centre

CRITIQUE.
[ Scène ]

★★★★ ½

texte
Élie Castiel

 

Sexy interdit

 

En Europe, en Afrique du Nord et un peu partout dans d’autres pays du Sud, on la connaissait depuis toujours. En Amérique du Nord, territoire plus enclin aux expériences locales, moins, sauf dans les milieux culturels alternatifs… et dû aussi au fait que l’artiste appartenait à la communauté noire, subissant une ségrégation sans bornes dans une Amérique blanche raciste qui, en partie, sévit encore aujourd’hui. Au Canada, et plus particulièrement au Québec, la latinité de la population s’avérait plus curieuse de connaître davantage sur l’artiste, bien que les recommandations de l’Église catholique, à l’époque très influente, aient joué un rôle déterminant pour calmer les ardeurs.

Quoi qu’il en soit, le Centre Segal s’est vaillamment organisé pour que la mémoire de Joséphine Baker refasse surface. Après un passage fort remarqué au Montreal Fringe Festival (et bien avant au Winnipeg Fringe Festival), évènements voués à une clientèle, majoritairement, alternative, la version-Segal a ceci de particulier qu’elle se donne des moyens plus proches de Broadway, pour épater, à juste titre, la galerie.

Crédit : Leslie Schachter

Une femme, une battante, une danseuse, chanteuse, amante (des hommes et des femmes, dont… – parce que les hommes devenaient, pour elle, de plus en plus agaçants – activiste pour des causes nobles, espionne pendant la Seconde Guerre mondiale, éprise d’un Paris nocturne moins embarrassée par les couleurs de peau, plus sensible à la sensualité, l’exotisme, l’érotisme. Un « Paris by Night » qui, encore aujourd’hui, ne cesse de vibrer.

Crédit : Leslie Schachter

C’est sans doute le décor le plus prestigieux qu’on ait vu au Segal depuis des lustres (sans dénigrer, bien entendu, ceux qui se sont succédé), un espace-cabaret comme au « bon vieux temps », cette époque où la vie nocturne des grandes villes mondiales voulaient dire quelque chose.

« J’ai deux amours, mon pays et Paris », la plus connue des chansons de l’artiste, qu’elle chante au tout début. Elle entamera d’autres, récoltant, à juste titre, des tonnerres d’applaudissements.

Entre le regard « voyeur » et celui « curieux », nos sens participent de ce jeu entre le suggestif et le taquin (teasing). Ces tenues vestimentaires, surtout lorsque réduites, révélant des parties intimes, toutes ces paillettes, ces maquillages souvent exagérés, ne sont, après tout, que des barrages, des frontières, des lignes de démarcation, des insignes protecteurs contre l’agression où l’intimidation.

Les créateurs, Tymisha Harris (l’artiste en question, souveraine, impériale, assumant son corps avec un naturel, comme on dit, désarmant), Michael Marinaccio et Todd Kimbro ont conçu un spectacle total, où le superflu et le voluptuaire ont finalement droit de cité.

Mais les choses sérieuses (par le biais de placements vidéo) et la parole, font également partie du spectacle. Comme son vécu entre travailler pour la résistance et continuer à donner des spectacles. Bête de scène qui, à défaut d’avoir eu ses propres enfants, se consacre à douze orphelins de la grande guerre. Comme conséquences, déboires, faillites… finalement une reconnaissance, bien que limité dans son pays.

Crédit : Leslie Schachter

Josephine. A Musical Cabaret ou l’antithèse du spectacle obsédé par une certaine logique parfois assommante. L’expérience est aussi le rapport entre ce qui se passe en scène et les spectateurs. Entre ce qu’on ose présenter et ce qu’on est prêt à accepter. Le regard n’est plus le même lorsque la seule performante (hormis le groupe de musiciens) assume sa physicalité, se permet de « courtiser » certains spectacteurs et spectatrices, connaît parfaitement les rouages du métier de comédienne, de chanteuse et de meneuse de revue.

Entre le regard « voyeur » et celui « curieux », nos sens participent de ce jeu entre le suggestif et le taquin (teasing). Ces tenues vestimentaires, surtout lorsque réduites, révélant des parties intimes, toutes ces paillettes, ces maquillages souvent exagérés, ne sont, après tout, que des barrages, des frontières, des lignes de démarcation, des insignes protecteurs contre l’agression où l’intimidation. La Baker brille par sa méthode. Elle ose le désir, se l’approprie, le manipule à sa guise et mine de rien, détermine parfaitement les conditions de sa démarche.

Dans une société post-#MeeToo où, parfois – et non pas toujours, le corps se protège, se cache, se voue à des argumentations sociales (et politiques) hors des sentiers battus, Josephine. A Musical Cabaret peut être vu comme un acte de revendication, de transgression. Sans complexe, sans culpabilité, tout en nuances et bon goût, une véritable réhabilitation du “sexy interdit”.

Sans oublier que le spectacle est aussi un hommage au phénomène actuel du Drag… comme preuve qu’il fait couler beaucoup d’encre.

Magnifique façon de conclure la saison théâtrale au Segal.

ÉQUIPE DE CRÉATION
Création
Tymisha Harris

Michael Marinaccio
Tod Kimbro

Mise en scène
Sean Cheesman

Interprète
Tymisha Harris

Chorégraphie
Sean Cheesman
Scénographie

Bruno Pierre Houle
Costumes
Louise Bourret
Éclairages
Stéphane Ménigot

Durée
1 h 40 min

[ Sans entracte ]


Auditoire
(recommandé)

14 ans +

Diffusion & Billets
@ Segal Centre
(Salle principale)
Jusqu’au 18 juin 2023

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon.★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]