L du Déluge
Épais
brouillard
dans
le
néant
CRITIQUE.
[ Scène ]
★★★ ½
texte
Élie Castiel
Faut-il demeurer plus affable face aux scènes contemporaines, aux spectacles alternatifs, qu’il s’agisse de théâtre ou de danse? Impossible d’y répondre, c’est selon notre sensibilité, notre curiosité et plus que tout, notre notion du regard, plus exigeante dans le cas de la scène que dans celui du cinéma. L du Déluge interroge intelligemment notre perception des choses.
L’expérimentation est un processus créatif continuel où l’engagement sert de base aux futures propositions. Mais à force de se cramponner coûte que coûte dans ce contexte de tous les possibles, tant dans la mise en scène que dans le domaine de l’interprétation, des basculements peuvent surgir par-ci, par-là, laissant parfois un goût de redite, d’excès que la nature de ce type de convention permet.
Une histoire d’amour, comme dans la tragédie grecque. Ariane est amoureuse de… (nous n’avons pas vraiment saisi le nom de l’homme qu’elle aime : diction? prononciation? – allez savoir!)1. Un réfugié, un étranger, certes, un poursuivi, un exilé, provisoirement sans identité. L’interprète est parfaitement choisi et s’ajuste à la scène avec une aisance remarquable. Ariane, la femme racisée. Dans une des premières séquences, la meilleure sans doute, la plus poignante, la plus sentie et habitée – elle face à lui, lui face à elle; conservant la même pose, il recule de plus en plus. Durant ce temps, un brouillard, sans doute venu du temps et des dieux traverse le sol. Paysage dans le brouillard.
Le contexte géopolitique prend ainsi une ampleur démesurée et c’est bien ainsi puisque les temps nouveaux le réclament. Sur ce point, la proposition de Léger-Savard et Marilyn Daoust fonctionne à merveille. Elle happe le côté sombre de notre monde, bouleversé, intense, un lieu ingrat où les frontières sont de plus en plus infranchissables, où la mixité des identités s’affichent allègrement, mais dans le même temps écrasée par les nombreuses revendications ségrégationnistes de certaines identités pas du tout préoccupées par l’ailleurs.
Ce qui s’annonçait comme un avenir commun entre l’Est et l’Ouest, entre le Nord et le Sud, toutes ces promesses deviennent de plus en plus assujetties à des impératifs aussi économiques que de rapports identitaires, qu’on croit menacés, propices à un changement de valeurs, de préoccupations, de mixités souvent le plus souvent mal accueillies.
Là où le bât blesse, c’est que dans la désinvolture excessive de la mise en scène. En dehors de la première partie, digne, noble, presque conservatrice (et pourquoi pas?), le reste se dirige partout, casse brusquement l’espace, le temps, accumulant des dérives, mais plus que tout, créant une cacophonie où il est impossible de savoir « où on est rendu ».
Encore une fois, une proposition courageuse, mais risquée dans le même temps, là où modernité et autres époques se courtisent sans cesse, là où l’humour corrosif des anciens orateurs se juxtaposent aisément à celui pince-sans-rire, cynique, de notre monde actuel, un monde qui s’en fiche de tout et de rien.
Le chœur grec, d’habitude composé de femmes, affirment ici sa mixité en incluant, selon les circonstances, un ou deux hommes (dont l’amoureux d’Ariane, dont on n’a pas encore bien saisi le prénom). Qu’importe, cet alter ego des deux amants (Elle et Lui) participe de ce rituel antique pour apaiser le courroux des Dieux qui semblent constamment troublés par l’incompréhension des Humains.
Encore une fois, une proposition courageuse, mais risquée dans le même temps, là où modernité et autres époques se courtisent sans cesse, là où l’humour corrosif des anciens orateurs se juxtaposent aisément à celui pince-sans-rire, cynique, de notre monde actuel, un monde qui s’en fiche de tout et de rien.
En quelque sorte, une série d’idées éparses, parfois saugrenues, trop nombreuses, trop disjonctées, manipulées par un enthousiasme délirant de la part des participantes et des deux participants. Et dans ce jeu d’identités parallèles, à bien observer, la diversité des genres s’imposent au grand jour, s’affiche sans compromis, face aux autres, face à elle-même, s’assurant qu’elle est incontestablement impossible à déloger.
1 Le prénom est Mazloum. Gros mercis à Sarah Desjeunes Rico (une des interprètes) qui nous l’a rappelé, en plus d’avoir apprécié cette critique.
ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Création
Gabriel Léger-Savard
Marilyn Daoust
Mise en scène
Gabriel Léger-Savard
Marilyn Daoust
Assistance à la mise en scène
Ariane Brière
Scénographie
Janine Jafaar
Interprètes
Leila Donabelle Kaze, Rasili Botz
Claudia Chan Tak, Laura Côté-Bilodeau
Sarah Desjeunes Rico, Simon Fournier
Charbel Hachem, Karina Iraola
Marie-Pier Labrecque, Janie Lapierre
Mireille Métellus, Gabriel Poulin
Concept-Chœur : Slowan Tavakol
Éclairages : Joëlle LeBlanc
Costumes : Audrée Juteau Lewka
Musique : Joël Lavoie
Durée
1 h 40 min
[ Sans entracte ]
Auditoire suggéré
Déconseillé aux jeunes enfants
Diffusion & Billets
@ La Chapelle
Jusqu’au 06 décembre 2022
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]