Le FLQ dans la cinématographie québécoise

 

RECENSION
Pierre Pageau

★★★★

Le FLQ a dynamisé

le cinéma québécois

 

Voilà bien un livre important, qui sera « incontournable » (ce mot est sur la jaquette mais, pour une fois, il est pleinement justifié). Le sujet est le FLQ (Front de Libération du Québec); un sujet qui est à la fois très connu, mais aussi un peu oublié, voire ostracisé, puisque plusieurs personnes encore au Québec vont préférer ne pas parler de ce sujet. Pour plusieurs encore aujourd’hui les événements d’octobre sont une « cicatrice » qu’il faut cacher. Mais, Sylvain Garrel a réussi à dénombrer plus deux cents films qui ont abordé ce sujet. Il fallait le faire. Sylvain Garrel l’a fait. On doit déjà lui dire un gros MERCI pour cela.

L’auteur est un Français bien connu des cinéphiles québécois. En particulier parce qu’il a été l’instigateur, le créateur, d’un festival du cinéma québécois à Blois (octobre 1991). Depuis quelques années, il est chargé de la promotion du cinéma francophone dans le monde. On voit donc comment, et pourquoi, cet ouvrage sur le FLQ est dans une suite cohérente de ses engagements et travaux. Plus récemment Garrel a pris la responsabilité d’un numéro spécial de la revue L’Avant-scène du cinéma, consacré au film Les invasions barbares (de Denys Arcand), ouvrage qui est aussi à un survol de toute notre cinématographie.

Dans son introduction Garrel nous apprend qu’à la base de cet ouvrage il y a eu une thèse de doctorat à la Sorbonne (sous la direction de Jean Gili, autre grand ami du Québec). Mais, à cause d’une série d’engagement politiques (ce qui caractérise la vie de Garrel depuis ses débuts), il ne la finira pas comme telle. Il décide alors de présenter la synthèse de sa recherche dans un livre accessible, pour tous ceux qui s’intéressent, au minimum, à l’histoire du cinéma québécois. Un éditeur québécois, Somme Toute, l’aidera à réaliser le projet.

Speak White

Pour rendre cet ouvrage immense accessible Garrel offre une construction à plusieurs sections : il nous livre d’abord un chapitre qui peut servir d’aide-mémoire pour ceux qui n’auraient pas vécu les événements d’octobre 1970 : Chronologie du FLQ (p. 17-26); de 1959 à 1980). Puis, il y a une section très importante, le cœur du projet d’une certaine façon, Présentation et analyse (p. 33-149). Garrel ajoute une Liste par ordre chronologique (p. 154-166) de tous les films qu’il a répertoriés. Mon conseil bien personnel serait de lire cette section en premier; on peut y retrouver rapidement des films que l’on connaît bien, mais aussi des surprises. Puis, vient la dernière grande section qui est la description et l’analyse de ces 200 films; de À tout prendre (1963) jusqu’à Le roi des mensonges (2023). Pour être encore plus exhaustif, l’auteur ajoute la section Dix-huit œuvres (in)achevées  et, même, Dix-sept projets. Si cela n’était pas suffisant, Garrel va nous faire cadeau d’un bloc, Bonus  (ici, la matière est variée et n’est plus que du cinéma; cela va inclure aussi bien de la radio que de la télévision, comme le très célèbre sketch de Gilles Richer pour le Bye Bye, télé de Radio-Canada, en 1970, mettant en vedette le soldat québécois francophone (interprété par le comique Olivier Guimond) et le riche anglophone de Westmount (joué par Denis Drouin). Ce court segment a toute sa place ici parce que « C’est la toute première fiction audiovisuelle consacrée aux événements d’octobre 1970 » (p. 510). Garrel a eu aussi l’idée d’ajouter une Préface, de Louis Fournier, que l’on peut considérer comme le plus grand spécialiste du FLQ; et, en Postface, le texte de Félix Rose, fils de Paul Rose (impliqué directement dans les événements d’Octobre) et surtout réalisateur d’un documentaire, Les Rose (2020), sur sa famille (les Rose) et sur la cellule Chénier (primé), film qui a défrayé la chronique en 2020 avec un grand succès auprès du public.

On voit bien que les ambitions de Sylvain Garrel sont énormes. Le travail de recension l’est, il va de soi, mais le travail d’analyse au moins autant. Parmi les constats fort originaux de cette recherche il y a l’identification des deux cinéastes québécois qui ont fait le plus souvent référence à ces évènements, au FLQ. Sans surprise le grand gagnant est Pierre Falardeau. Le réalisateur d’Octobre (1984) bien sûr, mais aussi Pea Soup (1979), le court métrage Speak White ((1980), Le party (1990), Le temps des bouffons (1993); 15 février 1839 (2001); et même la série des Elvis Gratton (l’original de 1981, puis 1983, 1985, 1999 et 2004). Falardeau a consacré sa vie, toute sa vie, à la cause de la lutte pour l’indépendance du Québec. Mais, un peu à ma surprise, le deuxième cinéaste qui s’est le plus intéressé au FLQ et a mis cela dans ses films est Denys Arcand. Il y a même dans la section « Dix-sept projets » un projet très peu connu de Denys, de 1970, Les terroristes , projet évoqué dans la biographie de Réal La Rochelle Denys Arcand, l’ange exterminateur. Denys pensait pouvoir faire ce film avec l’ONF. Par ailleurs, il ne faut pas se surprendre que parmi les 250 films certains méritent un détour plus élaboré. Ce que l’on peut identifier comme des « films phares ». C’est le cas, par exemple, et cela était plus que prévisible, pour Les ordres (Michel Brault, 1975) et Octobre (Pierre Falardeau, 1984). Chacun de ces films a droit à au moins 50 pages de texte. Mais, cela est moins évident tout en étant très justifié pour le long métrage de fiction Corbo (de Mathieu Denis, 2014). On rappelle que ce film est tout entier concentré à la vie tragique d’un jeune felquiste idéaliste, Jean Corbo. Corbo avait 16 ans : « ¢’est le premier felquiste mort au court d’une opération militaire » (Garrel, p. 405). Jean Corbo aura droit à un poème de Gaston Miron et ce film de Mathieu Denis. Le documentaire canadien-anglais (mais de l’Office national du film) Action : The October Crisis of 1970 (de Robin Spry) est aussi bien utilisé, documenté.

Action: The October Crisis

En terminant son ouvrage, Sylvain Garrel nous donne des index complets, aussi bien des films que des cinéastes; voilà qui est bien nécessaire pour un livre d’une telle ampleur. La maison d’édition Somme toute (et Sylvain Garrel) viennent donc vraiment de nous gratifier d’un beau cadeau.

Dans ce livre, on y apprend qu’il existe même des documents où des felquistes se sont exprimés, avant les événements comme tel. Il nous rappelle alors l’importance de deux livres, à caractère théorique : Les damnés de la terre (Frantz Fanon, 1961) et Nègre blancs d’Amérique, de Pierre Vallières (leader de la lutte politique dans le Québec des années soixante). Pour bien cerner l’ensemble des œuvres produites au Québec qui ont pu se référer, d’une façon explicite ou non, au FLQ, Garrel va citer aussi des poèmes (comme le célèbre Speak White, de Michèle Lalonde) ou des chansons (comme le Bozo-les-culottes, de Raymond Lévesque ou encore L’alouette en colère, Félix Leclerc.

En terminant son ouvrage, Sylvain Garrel nous donne des index complets, aussi bien des films que des cinéastes; voilà qui est bien nécessaire pour un livre d’une telle ampleur. La maison d’édition Somme toute (et Sylvain Garrel) viennent donc vraiment de nous gratifier d’un beau cadeau.

 

Sylvain Garrel
Le FLQ dans la cinématographie québécoise :
Le Front de Libération du Québec en 250 œuvres

Préface de Louis Fournier. Postface de Félix Rose

(Coll. « Nitrate »)
Montréal : Éditions Somme toute, 2023
608 pages
[ Illustré ]
ISBN : 13-978-2-8979-4415-5
Prix suggéré : 54,95 $

 

ÉTOILES FILANTES
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★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]