Le virus et la proie

CRITIQUE.
[ Scène ]

★★★★

texte
Élie Castiel

Prise

de

parole

Le  texte de Pierre Lefebvre est étanche, hermétique, iconoclaste, ne laissant passer rien d’accessible sur son passage. Sur scène, intraitable, laissant les protagonistes à eux-mêmes face à une plume hors du commun qui les oblige à se surpasser, davantage ou du moins à essayer de perdurer dans le temps, de croire en ces mots qui gouvernent métaphoriquement la condition humaine.

À voir (ou plutôt « entendre ») de près – et grâce aux surtitres qui ne sont pas toujours fidèles – nous sommes devant quatre experts en la matière. Alexis Martin qui n’a pas besoin de présentation. Il prend la décision de diriger l’espace à sa guise comme s’il s’agissait d’un exercice de réchauffement. Plus consciente, Ève Pressault compose un vrai personnage, c’est sans doute en raison des accessoires qu’elle partage avec la pièce, accroissant ainsi l’effet de mise en scène.

Puis Étienne Lou, que nous n’avions jamais vu auparavant, mais qu’importe. D’une audace percutante essayant de faire de son texte un jeu entre l’interprétation et le « dire juste ». Belle stratégie dans le domaine de l’interprétation qui consiste entre jouer « fort », s’adonner à des gestes presque extrêmes pour que l’éclat persiste.

Et la grande comédienne Tania Kontoyanni, la Québécoise d’origine grecque qui mérite une plus grande visibilité dans notre scène locale. Elle prend le terrain dramaturgique pour ce qu’il est, neutre, vierge (n’ayons pas peur des mots), prêt à recevoir tous genres de propositions; et elle investit ces moments avec une dextérité indéniablement sincère. Et, entre parenthèses, les cheveux à la garçonne, archi-courts, lui donnent un air de conquérante, d’une amazone indéchiffrable.

Kontoyanni, Martin, Lou et Pressault.
Se poser les bonnes questions.
Crédit :  @ Christine Bourgier

Ces descriptions ne sont-elles pas les effets d’un processus où les exigences du metteur en scène côtoient allègrement la collaboration des comédiennes et des comédiennes quant à l’organisation scénique d’ensemble? Travail collectif donc pour Benoît Vermeulen, habitué sans aucun doute, mais ne cessant jamais d’apposer sa signature.

Fort exigeant pour l’auditoire, voire même très exigeant, mais en parfait accord avec la mission du FTA… c’est-à-dire, compter sur la totale participation intellectuelle des spectateurs et des spectatrices. C’est-à-dire également donner à la culture théâtrale québécoise contemporaine des assisses solides, innovantes, intentionnellement subversives et agréablement stimulantes.

Encore une fois, il s’agit d’un texte qu’on lit plutôt; au théâtre il peut désorienter. Notre voix, individuelle et collective, ceux et celles qui nous dirigent (même si dans ce contexte-ci, c’est d’un dirigeant qu’il s’agit, au masculin), changer les choses par un retour au collectivisme perdu. Chacun, chacune des protagonistes agit à son tour à ces thèmes classiques, et soudain une sorte de champ/contrechamp libérée qui les rapprochent métaphoriquement. Changer le monde pour entreprendre finalement une nouveau chemin avec moins d’embûches, puisque des obstacles insurmontables à notre condition, il y  en aura toujours.

Fort exigeant pour l’auditoire, voire même très exigeant, mais en parfait accord avec la mission du FTA – dont c’est pour moi un retour fort agréable et souhaité après de nombreuses années d’abstinence hors de mon contrôle – c’est-à-dire, compter sur la totale participation intellectuelle des spectateurs et des spectatrices. C’est-à-dire également donner à la culture théâtrale québécoise contemporaine des assisses solides, innovantes, intentionnellement subversives et agréablement stimulantes.

Sur ce point de vue-là, Le virus et la proie sort indéniablement gagnant.

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
Pierre Lefebvre

D’après une idée de

Benoît Vermeulen et Pierre Lefebvre

Mise en scène
Benoît Vermeulen

Assistance à la mise en scène
Ariane Lamarque

Interprètes
Tanya Kontoyanni, Étienne Lou
Alexis Martin, Ève Pressault

Éclairages
Anne-Sara Gendron

Costumes
Estelle Charron

Musique
Guido del Fabbro

Surtitres anglais
Élaine Normandeau

(co)Production
FTA / Théâtre français du CNA (Ottawa)
Centre du Théâtre d’Aujourd’hui
Avec la collaboration d’Espace Libre

Durée
1 h 30 min

[ Sans entracte ]

Diffusion @
Espace Libre

Billets @
FTA
Jusqu’au 31 mai 2022

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]