Les 3 sœurs
CRITIQUE
scène
Élie Castiel
★★★★
Les saisons
de l’âme
Théâtre de chambre (ou de jardin), de l’intime, de l’oisiveté d’une classe semi-bourgeoise privilégiée qui se permet une domestique, sorte de seconde mère, comme si elle faisait partie de la famille et lorsque les temps sont durs, elle doit partir.
Les femmes, notamment les trois sœurs dont il est question, regrettent ce départ. Les hommes de l’époque, c’est la virilité, la droiture, l’amour des femmes et de la patrie, de la Terre nourricière, conditions de l’Homme montrées selon le niveau de charges hormonales dans le corps de chacun d’eux.
Et un auteur intransigeant malgré l’amour qu’il porte à ses prochains, et surtout à ses prochaines. Effectivement, Les 3 sœurs respire la haine et l’amour, la beauté filiale et le besoin de la famille. On se dispute pour retrouver des moments plus tard plus sereins. Le dialogue entre René Richard Cyr et Anton Tchekhov est teinté d’ententes réciproques. Notre Québécois national est un monument car il fait partie de cette génération d’investi(es)-artistes dans tout ce qu’ils ou elles font. Pour elles, pour eux, il s’agit d’une seconde nature.
Cyr, c’est aussi le théâtre grand public (comme selui de notre Tremblay national) qu’il somme en revanche de bien réfléchir, mais c’est aussi un théâtre pour les connaisseurs, et c’est parfait comme ça. Les classes sociales ont existé et existent. Et existeront si l’on en juge par les temps qui courent. Mais elles n’ont rien à voir avec les sommes d’argent qu’elles détiennent, mais avec l’éducation, l’ouverture au monde, les rapports entretenus avec les autres et avec les femmes en particulier. Le savoir-vivre est une idée du monde qui rapproche au lieu d’éloigner. Dans un sens, Les 3 sœurs est une pièce sur la lutte intense, fulgurante, bouleversante aussi contre la solitude, celle de soi-même, coupable d’avoir pris les mauvaises décisions. Mais aussi sur le temps qui passe et qui, sans pitié, nous pousse à entreprendre des actions parfois houleuses qu’il sera trop tard de regretter.
Mais avant tout, c’est également la réussite magistrale d’une mise en scène dont la simplicité émeut, nous désoriente, excite nos sens les plus enfouis. Et pourtant, force est de souligner qu’à première vue, elle semble banale cette mise en situations – problèmes de familles auxquels on a du mal à faire face, envie de se marier… Mais sous la gouverne du Maître Cyr, le dialogue, les répliques prennent une place quasi mythique. Mythe de l’homme, dans son sens ethnographique, abandonné à lui-même, ne sachant parfois comment agir en société. Dépendant souvent du hasard.
Mais avant tout, c’est également la réussite magistrale d’une mise en scène dont la simplicité émeut, nous désoriente, excite nos sens les plus enfouis.
Et c’est la famille, repliée en elle-même, et qui tente par tous les moyens de renouer les fils brisés de la mésentente. Et c’est aussi un récit sur l’absence, celle de la Mère, porteuse d’espoir, d’équilibre et de réconciliation, même aussi de rédemption.
Les comédiens, tous remarquables, se donnent entièrement à leurs personnages, forts ou faibles, absents ou présents du réel. Evelyne Brochu et Éric Bruneau forment un couple (Macha/Alexandre) à la Anna Karérine, nonobstant les classes sociales. Magnifique jeu dans leurs répliques et l’abandon des corps. Bruneau rappelle les jeunes premiers d’une autre époque pas si lointaine où le charisme des interprètes était si présent que les spectateurs avaient l’impression d’entrer dans un univers qui ne les appartenait pas, un espace qui leur était interdit.
Tous et toutes sont victimes dans cette pièce sur le passage d’une époque à l’autre, de l’arrivée prochaine d’un siècle qui, nous le savons très bien, s’est avéré aussi sanglant que magnifique.
Louons la scénographie (décor) de François Vincent, d’après une idée originale de René Richard Cyr. Le miracle s’accomplit lorsque les changements de décor surgissent comme par enchantement, quelques gestes anodins posés par les comédiens pour les changements de place des meubles légers et des accessoires.
Mais avant tout, Les 3 sœurs est un geste délicat du TNM pour célébrer le génie d’un auteur parti trop jeune. Un esprit que René Richard Cyr réanime vaillamment pour donner naissance à une pièce d’une étonnante beauté plastique.
Preuve comme quoi, tout en conservant le côté classique d’un récit dramaturgique, il est (et il sera) toujours possible de lui administrer de nouvelles couleurs sans pour cela le pervertir.
ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
Anton Tchekhov
Traduction
René Richard Cyr
Mise en scène
René Richard Cyr
Assistance à la mise en scène
Marie-Hélène Dufort
Décor
François Vincent
d’après une idée originale de René Richard Cyr
Costumes
Mérédith Caron
Éclairages
Étienne Boucher
Musique originale
Michel Smith
Interprètes
Evelyne Brochu, Noémie Godin-Vigneau
Rebecca Vachon, Émilie Bibeau
Éric Bruneau, Vincent Côté
Guillaume Cyr, Michelle Labonté
Robert Lalonde, Benoît McGinnis
Frédéric Paquet
Production
TNM
Durée
1 h 40 min
[ Sans entracte ]
Représentations
Jusqu’au 31 mars 2020
[ Incluant supplémentaires ]
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]