Les filles et les garçons
< CRITIQUE >
SCÈNE
★★★★
Texte : Élie Castiel
Moments hétérogènes de la vie d’une femme
Nouvelle pièce du Britannique Dennis Kelly, à l’aube de la cinquantaine; dans le cas d’un dramaturge, en principe, c’est le début d’une ère féconde en création. Avec Girls & Boys, montée en 2018 à Londres, l’auteur cristallise sa vision du monde. Simplement traduite en français par Les filles et les garçons, Fanny Britt, toujours brillante, utilise au début le québécois espiègle pour, qu’à mesure que le drame s’installe, se transforme en québécois sérieux, pur, assumant sa supériorité; une langue douloureuse, qui vient du cœur, qui écorche, qui avertit le spectateur de contrôler sa sensibilité ou au contraire, sentir ces moments de pure émotion, de folie meurtrière, d’amok.
En quelque sorte, ce sont des fragments de la vie d’une femme que raconte cette pièce aux multiples facettes : premiers balbutiements de l’âge jeune adulte, famille, travail, un premier amour, une vie de couple, des enfants, une relation qui s’étiole et le drame… plutôt la tragédie. Effectivement, une tragédie grecque, de celles qui dépassent la réalité parce qu’en l’écrivant, les auteurs se sont fait piéger par les Divinités.
Un seul personnage sur scène. Autour d’elle, presque rien, un banc de comptoir où elle s’assoit pour calmer sa posture, ses gestes, car elle aussi, la généreuse Marilyn Castonguay ne supporte plus les mots, les descriptions qu’elle fait de tous ces mouvements, réflexes, instincts de nature et autres velléités que la vie impose.
Pour la comédienne, une première en solo, et une première collaboration avec La Manufacture, deux baptêmes en même temps. Mais aucune hésitation, rien ne l’arrête. Elle possède la scène comme elle rend les spectateurs complices d’un moment de folie, d’une rupture qui pousse jusqu’aux extrêmes des possibles.
Vous dévoiler la fin serait un geste inapproprié de notre part. C’est dur, plus que la vie; c’est impensable, mais l’actrice se met métaphoriquement à nu pour nous prévenir, seul bémol à cette pièce quasiment surréaliste qui nage souvent dans des eaux troubles, qui retient nos sens, à nous étouffer. Il aurait fallu ne pas nous avertir. Oui, pour nous écœurer davantage.
Car l’art, avant tout, doit servir de catalyseur, de messager de nos comportements. Pour nous apprendre que nous faisons souvent de faux pas, que nos réflexes nous dépassent et qu’en dehors de la maladie, le plus souvent incontrôlable, la vie peut être vécue si nous la rendons moins encombrante. Mais est-il réaliste? C’est ainsi qu’elle va, tout simplement.
À sa façon, cyniquement, intentionnellement, on pourrait taxer Dennis Kelly autant de misogyne que de misandre, soulevant sur Les filles et les garçons une polémique inévitable.
Et la mise en scène de Denis Bernard : impeccable, sournoise, au bord de la folie, rendant le cauchemar visible par le biais de mots qui étouffent et nous laissent la bouche bée. Il y a, dans cette présentation, un rapport entre le réel et ce que l’on imagine, entre la beauté du geste et la laideur de la conspiration, entre l’amour et la jalousie.
À sa façon, cyniquement, intentionnellement, on pourrait taxer Dennis Kelly autant de misogyne que de misandre, soulevant sur Les filles et les garçons une polémique inévitable. Dans un contexte québécois (je ne sais pas si c’est le cas ailleurs), c’est là un geste (socio)politique que ceux et celles normalement constitué(es) ressentent quotidiennement. Car des plaies intérieures blessantes ne sont pas prêtes à se cicatriser.
ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
Dennis Kelly
Traduction
Fanny Britt
Adaptation française de Girls & Boys
Mise en scène
Denis Bernard
Assistance à la mise en scène
Marie-Hélène Dufort
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Décor
Olivier Landreville
Costume
Mérédith Caron
Éclairages
Julie Basse
Musique
Fanny Bloom
Thomas Hébert
Production
Théâtre de la Manufacture
Durée
1 h 50 m
[ Sans entracte ]
Représentations @
La Licorne
Jusqu’au 22 février 2020
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]
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