Les larmes amères de Petra von Kant
CRITIQUE – SCÈNE
| Élie Castiel – ★★★★½ |
CRIS DE FEMME
Quelque chose de magique se produit sur le coup lorsque Anne-Marie Cadieux apparaît sur scène. Muse, sirène, femme fatale, manipulatrice, souveraine et fragile comme la vie, comme l’existence, comme l’art dramaturgique. Quelque chose qui a à voir avec l’expérience sur scène qui, d’emblée, doit être multipliée maintes fois pour, finalement, sortir indemne.
Un auteur immense de la deuxième moitié du 20e siècle. Une écriture intransigeante. Des mots qui blessent, des paroles qui aiment et plus que tout, des relations humaines dont les comportements puisent aux sources de l’Histoire. L’Allemagne et ses démons. Quels que soient ses films ou ses écrits dramatiques, Fassbinder a toujours placé ses protagonistes dans des situations, produits directs ou indirects de la période sombre de son pays.
Et puis une pièce (et un film) intime, Les larmes amères de Petra von Kant, lieu privilégié où la solitude est faussement atténuée par un appartement luxueux, art déco des années 20, ayant survécu à l’après-Seconde Guerre mondiale dans certains cercles. C’est le cas de Petra von Kant. Chez elle, une nostalgie qui ne s’explique pas; une mélancolie qui refuse de partir dû à la solitude. L’existentialisme romantique est un humanisme semble dire un Fassbinder entre la tourmente et le désir d’être.
Et quelques agissements pour signifier l’attirance vers l’autre, coup de foudre instantané, engouement (pour ne pas dire le si beau terme anglais infatuation), pour se perdre, contre l’ennui, contre le néant routinier.
Et une traduction épatante qui défie les lois de la réalité (et de la normalité) pour en extraire les déterminants les plus monstrueux et obsessifs, mais tout autant amoureux et bouleversants.
Anne-Marie Cadieux n’a jamais été aussi puissante, radieuse, s’emparant du rôle pour mieux le forger… à sa propre image. Intransigeante, lumineuse. Vigoureusement.
Ce n’est pas exactement à une mise en scène que se livre Félix-Antoine Boutin. Plutôt à une possession obsédante des personnages en question, comme s’il les incarnait tous (toutes). Une sorte de mise en abyme foudroyante qui opère magnifiquement bien sur la scène du Prospero. On se croirait parfois dans un endroit particulier à l’intérieur d’un ces immenses paquebots transatlantiques où des histoires se racontent au gré des humeurs et de la vie qui bat.
Correspondance remarquable entre le metteur en scène et Léonie Blanchet, totalement investie dans cette expérience hallucinante, rêvée, d’un érotisme rare. Mais plus que tout, unité de lieu, d’espace et de temps, tour de magie qui rejoint en quelque sorte l’œuvre fassbinderienne, là où cinéma et théâtre semblent ne former qu’un.
Mais Les larmes amères de Petra von Kant est aussi une œuvre majeure du théâtre universel. Et entre les bras (en les corps) de ces magnifiques comédiennes, dans le cas du Prospero, la démonstration n’est que plus obsédante. Mais ne la cachons pas : Anne-Marie Cadieux n’a jamais été aussi puissante, radieuse, s’emparant du rôle pour mieux le forger… à sa propre image. Intransigeante, lumineuse. Vigoureusement.
FICHE TECHNIQUE
Texte: Rainer Werner Fassbinder
Traduction: Frank Weigand, Gabriel Plante à partir de l’original Die bitteren Tränen der Petra von Kant
Mise en scène: Félix-Antoine Boutin assisté de Émily Vallée-Knight
Scénographie: Odile Gamache assistée de Léonie Blanchet
Éclairages: Julie Basse
Musique: Christophe Lamarche L.
Distribution: Anne-Marie Cadieux, Sophie Cadieux, Lise Castonguay, Marianne Dansereau, Florence Blain Mbaye, Patricia Nolin
Costumes: Elen Ewing
Production: Dans la Chambre et Théâtre du Trillium
Durée: 1 h 30, (Sans entracte)
Représentations: Jusqu’au 6 avril 2019, Prospero
[ Salle principale ]