L’orangeraie

CRITIQUE.
[ ART LYRIQUE ]

★★★★

texte
Élie Castiel

Territoires interdits

   Au pupitre, la cheffe Lorraine Vaillancourt exprimait quelque chose qui a à voir avec l’extase de succomber à une musique venue d’ailleurs, comme si cette expérience avec l’orchestre de musiciennes et de musiciens se voulait un cadeau tombé du ciel. Et pour cause, les tonalités musicales telles qu’émises par le canado-libanais Zad Moultaka, qu’on pourrait sans faire trop cliché, considérer comme le Wajdi Mouawad de la musique, partagent une somptueuse intégration des notes lyriques dans le social et le politique, rythmes soutenus se détachant parfois pour devenir plus sereins, pour reprendre ensuite leurs caractères tragiques. Des va-et-vient incessants entre le réalisme quotidien et l’irréversible, lui plus théâtral.

Mais lorsque le drame est issu, justement, du quotidien, comme le manifeste le texte du prodigieux Larry Tremblay, la cause est encore plus indéniable. Pas seulement une cause, mais une proposition offerte aux spectateurs de revoir l’Histoire des sociétés, de leurs rapports à tout ce qui se passe dans le monde. Et de punir la guerre car elle n’a jamais de raison d’être.

L’endroit du conflit n’est pas nommé dans L’orangeraie, mais les prénoms des personnages nous indiquent un Liban dans la tourmente. L’agresseur, nous préférons ne pas le dire car, en fin de compte, pour Tremblay, à moins que je fasse erreur, ni vainqueurs, ni vaincus. Tous coupables et innocents. L’ouvrage de Larry Tremblay paru dans les années 2000  regorge en métaphores, sous-entendus, pièces à conviction, moments de dialogues terre-à-terre qui, d’un coup, se mêle à la fable anti-guerre.

 Une consanguinité évocatrice.
Crédit : @ Vanessa Fortin

Pour les besoins de la scène, Pauline Vaillancourt, metteure en situations prend le risque de reconstruire le récit sur un espace dramatique tout à fait approprié, très proche des tragédies grecques, là le minimalisme du décor évite de noyer la parole, ici importante; et les voix qui s’y prêtent avec un excès de détermination ne font que soutenir la mise en scène, dépourvue de tout excès superflu. Faire vivre des personnages typiquement textuels, les rendre crédibles, entretenir un dialogue complice et partagé entre la scène et le public. En sorte, oser une aventure risquée, quitte à s’apercevoir de s’être trompé.

L’émotion est présente, mais elle n’est pas directe. Elle a, intentionnellement, une portée clinique, quasi froide, mais qui rime admirablement bien avec la musique. Entre la pièce symphonique et la musique de chambre déchaînée. Ces différentes variations, Lorraine Vaillancourt les comprend et saisi l’occasion de se les approprier, délicatement, prenant soin de laisser la place au reste de la production.

Amed, Aziz, Tamara, Soulayed, Zahed… et j’en passe. Des noms arabisants, fiers, et passionnés, prêts à tout dans le cas des deux frères, dont l’un essaie de protéger l’autre en…

Pour le spectateur occidental, un choc des cultures, certes, mais également la possibilité de comprendre l’autre par le biais de l’art, ici, l’art lyrique. Mais plus que tout, un texte de Larry Tremblay, un Québécois qui comprend les cultures venues d’ailleurs.

Sur scène, le no man’s land est évident et les captations vidéo de Catherine Béliveau Dominique Béliveau suggèrent des parcours identitaires selon une approche poétique.

Pour le spectateur occidental, un choc des cultures, certes, mais également la possibilité de comprendre l’autre par le biais de l’art, ici, l’art lyrique. Mais plus que tout, un texte de Larry Tremblay, un Québécois qui comprend les cultures venues d’ailleurs.

Les voix, je laisse aux experts le soin de se prononcer même si, en général, elles sont agréables à entendre dans le chant et dans la parole.

Aziz et Amed au pays des vains conflits. Des années plus tard, on retrouve Amed en terre d’Amérique, recueilli par une tante. Le sacrifice sert-il vraiment les causes, quel qu’il soit?

Nous avons vu L’orangeraie en présentiel hier, le dernier soir de présentation à Montréal. Celles et ceux qui seraient dans la capitale nationale dans les premiers jours de novembre pourront y assister.

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Musique
Zad Moultaka

Livret
Larry Tremblay

Pupitre
Lorraine Vaillancourt

[ Nouvel Ensemble Moderne ]

Mise en scène
Pauline Vaillancourt

Scénographie
Dominique Blain

Éclairages
Guy Simard

Costumes
Marianne Thériault

Vidéo
Dominique Blain

Catherine Béliveau

Distribution
Nicolas Burns (Amed), Arthur Tanguay-Labrosse (Aziz)
Nathalie Paulin (Tamara), Dion Mazerolle (Soulayed)
Jacques Arsenault (Zahed), Stéphanie Pothier (Dalimah)
Simon Chaussé (Kamal), Alasdair Campbell (Halim)
Jean Maheux (Mikaël), Michel Ducharme (Mounir)

Production
Chants Libres

Nouvel Ensemble Moderne [NEM]

Durée
1 h 45 min

[ Sans entracte ]

Diffusion @
Le Diamant
Représentations
Ven 05 & sam 06 novembre 2021

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]