Lysis
@ Théâtre du nouveau monde

CRITIQUE
[ Scène ]
Élie Castiel

★★★★

Cri de femmes

 

Une approche de
véritable tragédienne.

Crédit : Yves Renaud

Nous l’attendions depuis longtemps, subjugués par des noms aussi imposants que Fanny Britt et Alexia Bürger, des plumes ciselées, adaptées à leurs époques, risquant le tout pour le tout, ne tenant pas compte de l’accueil que leur proposition recevrait de parts ou d’autres, des échos favorables ou mitigés. Tout compte fait, une écriture libre de toute influence.

Lysis, nous l’attendions bien avant la pandémie, mais… Durant ce temps de confinement, on peut se demander si l’écriture a subi des changements. Est-ce l’originale à laquelle nous avons eu droit hier, soir de Première médiatique. Toujours est-il qu’après la représentation, une réception qui laisse la majorité des spectateurs interdits, comme si atteints d’une sorte d’amnésie transitoire qui leur empêcherait d’exprimer leurs émotions.

La Lysis de Lorraine Pintal est une pièce complexe, décomplexée surtout, tragédie plutôt que comédie comme l’avait créé Aristophane avec son Lysistrata, alors que les Grecques déclaraient la grève du sexe tant que les Hommes n’auraient pas cesser la guerre.

Fanny Britt et Alexia Bürger signent ici une œuvre au goût du jour, actuelle, féministe, sensible aux enjeux qu’elle dénonce. Un univers professionnel patriarcal, toujours modelé par le hommes et où la femme n’est présente que comme subalterne dans des postes de moindre importance, ou presque, pour « faire semblant ».

Et puis, comme ça, un groupuscule de guerrières pacifistes est formé; elles cesseront d’enfanter pendant quatre ans, le temps que les hommes mettent de l’ordre dans certaines affaires de la vie sociale, principalement dans le club fermé des affaires.

Lysis tient le rôle principal, et pourtant cela n’empêche pas les autres de se faire valoir sur scène, car elles contribuent largement à cette valeureuse entreprise de véritable démocratisation.

Lysis, la femme, féministe, qui aurait voulu gravir les échelons dans ce laboratoire pharmaceutique important et n’y arrive pas. Et puis, elle rend publics les résultats d’une étude sur un médicament qui s’avère dangereux pour la santé. Scandale ! Une joute à n’en plus finir entre les décideurs, bien entendu mâles d’une autre époque et quelques-uns de la nôtre car convertis aux privilèges patriarcaux. Comme le Premier Ministre du pays qu’on ne nomme pas, jeune pourtant et qui a sa propre façon de « dealer » avec les femmes. Et un homme parmi cette horde masculine, l’amoureux de Lysis, véritable « homme nouveau » qui ne sait pas où tout cela se dirige et comment il devra poursuivre son engagement. En s’exilant sans doute, laissant derrière lui sa bien-aimée.

Si d’aucuns s’attendaient à une nouvelle version du Aristophane, force est de souligner que Lorraine Pintal, à bien observer, respecte, bien sûr à sa façon, les préceptes du théâtre grec antique : dans le rythme de certaines répliques et dénonciations, dans la présence d’un chœur de femmes multipliées, un jeune homme défenseur de cette nouvelle cause faisant partie (un ajout soulignant la contemporanéité du moment).

Entre la société grecque de l’époque et les temps que nous vivons, s’établit une sorte de correspondance, un champ/contrechamp fait de dialogues intempestifs où on sent parfois qu’il est possible d’arriver à une entente. Peut-être ! Il y a, dans cela, le pouvoir de la négociation. Qui explique pour ainsi dire la finale, plus directe qu’ouverte ou ambiguë.

Entre l’Antiquité et l’Actuel, une forme de réappropriation.
Crédit : Yves Renaud

Dans tous les sens, la Lysis de Britt-Bürger-Pintal est non seulement sociale, également politique, s’insérant dans un processus discursif de transition vers les possibles. Comme déjà mentionné, les autres « belligérantes » participent activement dans ce jeux de guerre et de revendications avec une farouche énergie. Deux hésitent car la race ne peut arrêter de se multiplier – c’est bien long quatre ans.

Pour le spectateur, il faut prendre le temps avant qu’on accroche, qu’on s’y attache à ce débordement d’idées subversives sur le pouvoir, sur les relations hommes/femmes, sur la représentation des femmes dans le milieu des affaires, sur la vie active d’un pays.

Lysis (ex-Lysistrata), Médée, Électre, Iphigénie, Phèdre… les Grecs auraient-ils été féministes à leur façon ? Dommage que ces derniers temps, il faut attendre bien longtemps avant que les classiques du théâtre antique soient adaptés – question de programmation trop axée sur la modernité ? Comme dirait quelqu’un « il n’y a plus de mémoire ».

Lysis est la nette confirmation que la femme reprend ses droits, suscite particulièrement la discussion, très souvent inaudible ou cacophonique par les temps qui courent, perturbe notre confort et notre indifférence, et plus que tout, on assiste à un débat sur la répartition équitable des tâches entre eux et elles.

Entre la société grecque de l’époque et les temps que nous vivons, s’établit une sorte de correspondance, un champ/contrechamp fait de dialogues intempestifs où on sent parfois qu’il est possible d’arriver à une entente. Peut-être ! Il y a, dans cela, le pouvoir de la négociation. Qui explique pour ainsi dire la finale, plus directe qu’ouverte ou ambiguë.

Ici, le gris domine, le rouge s’impose, la simplicité de l’espace dramaturgique fait référence à celui de l’Antiquité, mais si pour rendre le tout actuel, les murs-vidéos sont cadrés de visages d’hommes (?) et surtout de femmes, témoignage du temps qui passe, d’une Histoire qui se vit et se conserve par des moyens au-delà des ouvrages écrits.

L’orchestre à l’arrière-scène composé de trois excellentes instrumentistes participent à ce discours sur le genre qu’est également cette version moderne de la pièce, contrecoup des #metoo et autres dérivés. S’ajoute aussi la brillante composition musicale de Philippe Brault.

Soulignons l’exceptionnelle engouement de toutes les participantes et participants. Un véritable travail d’équipe où toutes et tous sortent glorieusement gagnant(es).

Une fin de saison courageuse, inattendue, qui restera nul doute dans les annales du TNM. Une tombée de rideau sous le signe de la controverse réinventée.

Crédit
Jean-François Gratton

Lysis
D’après Lysistrata, d’Aristophane
Adaptation
Fanny Britt et Alexia Bürger

FICHE ARTISTIQUE
Mise en scène
Lorraine Pintal

Assistance à la mise en scène
Bethzaïda Thomas

Distribution
Bénédicte Décary (Lysis)
Annick Beauvais, Steve Gagnon
Nadine Jean, Jacques L’Heureux
Chloé Lacasse, Windermir Normil
Olivia Palacci, Brigitte Paquette
Pier Paquette, Jean-Philippe Perras
Philippe Racine, Dominick Rustam
Sally Sakho, Isabelle Vincent
Cynthia Wu-Maheux

Décor Dominique Blain
Éclairages Martin Sirois
Costumes Marie Chantale Vaillancourt

Musique Philippe Brault
Vidéo Lionel Arnould
Chorégraphie Jocelyn Montpetit
Cheffe des chœurs Chloé Lacasse

Durée
1 h 50 min
[ Sans entracte ]

Public (suggéré)
Déconseillé aux moins de 13 ans

Diffusion & Billets @
Théâtre du Nouveau Monde
Jusqu’au 1er juin 2024

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]