Mademoiselle Julie
CRITIQUE.
[ Scène ]
★★★★ ½
texte
Élie Castiel
Retour en force au Théâtre du Rideau Vert avec un Strindberg mené de main de maître par un Serge Denoncourt totalement investi dans son art de la mise en scène, renforcée également par la présence de deux comédiennes et d’un comédien d’une conviction inégalée..
Le récit est simple : une jeune femme de l’aristocratie, un valet qui a appris à bien parler à force de contact avec les gens de la haute et la cuisinière, très proche de Julie, sa maîtresse (à l’époque c’est comme cela qu’on disait et n’avait nullement un double sens… mais bon, ça c’est une autre histoire). Et un jeu de séduction. Qui des deux femmes l’emportera?
Si la version actuelle de Denoncourt se démarque, c’est surtout pour la direction d’acteur et d’actrices. C’est dans leur jeu, leurs registres multiples, leurs variations dans la gestuelle, les voix qui changent au gré de situations. Un énorme travail de composition des rôles.
Denoncourt excelle dans ce théâtre de miroir, ce rapport aux artistes sur scène qui ne demandent qu’à aller le plus loin possible. David Boutin sacrifie son allure altière, la reprend le temps de se réapproprier sa condition d’homme, retombe soudainement et à la fin, se rend compte que…
Une soirée
particulière
Kim Despatis, superbe, femme fidèle même si donnant au dit-« sexe fort » ses droits acquis par la société patriarcale qu’elle finit, indirectement, par remettre en question. Despatis excelle dans ses moindres fluctuations psychologiques, se laisse foudroyer par son entourage pour ensuite se reprendre tout en conservant sa prestance sociale.
Et Magalie Lépine-Boudreau, magnifique, jouant ouvertement le jeu de la caricature, au diapason d’une classe sociale du faux-semblant, des qu’en-dira-t-on, car ces commérages existent dans toutes les sphères de la société. Elle assume son rôle de femme libre face à Jean (toujours aussi convaincant Boutin), mais cède du coup au désir de la chair. Un va-et-vient incessant entre raison et abandon. Lépine-Blondeau navigue avec fermeté à travers diverses situations qui lui permettent de multiplier son registre d’interprétation, déjà impressionnant.
Et la mise en scène, elle, intentionnellement prisonnière d’un seul et unique décor, s’acclimate avec perfection aux différentes situations qui s’agite fiévreusement d’un côté que de l’autre; la scène dramaturgie totalement investies pour « les » circonstances. Parfois, ce sont des petites banalités qui peuvent transcender l’émotion, comme cette petite cage d’oiseau couverte d’un tissu qui apaise l’âme et qui rend Julie encore plus vulnérable.
Un grand Strindberg, lui-même accusé de misogynie dans son temps, une fin de 19e et début de 20e où les codes d’un nouveau siècle se répandent comme de la foudre dans un Occident qui ne cesse de vouloir se renouveler.
Mais en fait, dans sa sollicitude la plus bienveillante, le dramaturge suédois n’est-il pas en train de confirmer que la « bataille des sexes » est une lutte constante qui se perd dans la nuit des temps? Mais qu’il faut qu’elle ne produise point des victimes. Comme cette soirée particulière de la Saint-Jean où les esprits et les corps s’animent pour proposer des lendemains, on l’espère, moins agités.
ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
August Strindberg
Adaptation / Mise en scène
Serge Denoncourt
Assistance à la mise en scène
Suzanne Crocker
Décors
Guillaume Lord
Costumes
Ginette Noiseux
Éclairages
Julie Basse
Musique
Laurier Rajotte
Interprètes
Magalie Lépine-Blondeau (Julie)
David Boutin (Jean)
Kim Despatis (Kristin)
Production
Théâtre du Rideau Vert
Durée
1 h 30 min
[ sans entracte ]
Diffusion @
TRV
Jusqu’au 16 avril 2022
[ Horaire selon la journée ]
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]