Massimadi 2021 – [ Deuxième partie ]

ÉVÈNEMENT
[ Festival des films… LGBT afro ]

texte
Élie Castiel

En d’autres territoires

Invisible Men

Autres lieux, mêmes réalités, situations complexes, droits bafoués, luttes pour s’assumer. Massimadi nous offre une 13e édition surprenante, nourrie de trouvailles, pour la grande part, à petit budget, mais non moins aussi bien réussies que salutaires.

Deux courts métrages étonnants où la durée a quelque chose à voir avec la mise en scène et son approche narrative. Dans le cas du documentaire Invisible Men (Homens Invisíveis) du Brésilien Luis Carlos de Alencar, le regard sur la population Trans masculine dans les prisons brésiliennes tient non seulement du discours idéologique LGBT engagée, mais également au concept de tournage : l’extrême gros plan est parfois privilégié, sans montrer les yeux de quelques personnages, donc respect de la personne et dans le même temps de sa protection, de son embarras devant la caméra; mais aussi et surtout un discours sur le cinéma et sur sa fonction documentaire de rapporter certains faits. Le réel déconstruit par le médium, un réel en quelque sorte travesti pour les besoins de témoigner. Et une musique qui, en fin de compte, sert de support narratif pour illustrer l’émotion, pour engager la réaction des spectateurs qui, eux, sont obligés, agréablement, de transformer leur regard.

Of Hearts and Castles

Dans le court Of Hearts and Castles (De corazones y castillos) de l’Espagnol Ruben Navarro filme un moment dans la vie de deux jeunes gais, la trentaine ou quelque chose comme ça, à Los Angeles. L’un Blanc, l’autre Afro-américain. Une rencontre, l’aventure d’un soir, quelques champs/contrechamps qui privilégient leur visage, leur corporalité… et une chanson d’un autre âge, Ay! Pena, penita pena, interprétée par une voix féminine contemporaine et pour ceux et celles d’une autre génération, leur rappelle des souvenirs impérissables, ceux aussi du film éponyme d’un autre temps. Un film court que celui de Navarro, juste ce qu’il faut, mais atteint de quelque chose qu’on appelle grâce.

Your Mother’s Confort

Tout compte fait, notre première incursion en territoire massimadien nous a paru essentielle, grâce à la découverte d’œuvres méritant plus de diffusion – mais ne soyons pas trop exigeants. Somme toute, ces cinéaste courageux doivent continuer leur lutte pour que des changements surviennent.

Côté long métrage, le Brésil s’impose encore une fois avec Your Mother’s Confort (Aconchego da tua mãe) de Adam Golub. Le personnage documentaire principal, Indianara Siqueira, militante transgenre qui n’hésite pas à critiquer son parti politique de l’avoir évincée dans les élections brésiliennes de 2018. Outre les détails de ce combat, Golub propose une vision nouvelle de ce pays de l’Amérique Latine (centrale) où les mutations sociales et étatiques prennent un tournant aussi décisif qu’incertain. Mais plus que tout, et il était grand temps, nous tenons à le souligner, le film place les représentants de la communauté LGBT à l’intérieur du discours sociopolitique. L’orientation sexuelle et le genre ne sont plus que des apanages du comportement sexuel, mais de quelque chose d’encore plus intransigeant et démocratique, le droit de décider.

Kelet

Dans la même veine, et dans un cadre tout à fait différent, Kelet, de la finlandaise Susani Mahadura, celle qui porte le nom du titre du film est une femme transgenre d’origine somalienne; Kelet rêve de poser comme mannequin pour Vogue. Mahadura montre jusqu’à quel point, malgré les avancées, les transgenres subissent encore de la discrimination, souvent sourde, à petites voix. L’univers des mannequins est-il prêt pour un tel changement? Dans un sens, cet univers où le glamour et la soi-disant liberté dans le comportement affiche pourtant des élans de conservatisme, à sa façon, puisqu’une grande partie des clientes proviennent de réalités traditionnelles et conservatrices. Beau regard de Mahadura qui, sans trop insister, mais tenant à bout de bras son sujet, ne cède pas à la pression extérieure. Sa stratégie : filmer le personnage de Kelet dans ses plus diverses expressions, obligeant la caméra à la caresser dans des angles aussi réalistes qu’impressionnants. Kelet prend toute la place, et on le comprend. C’est un film sur Elle, pour Elle et pour Celles qu’elles représentent. Dans un sens, le discours est politique mais s’il s’inscrit dans le terrain souvent dénigré de la mode, de la séduction superficielle et de la fantaisie.

Kapana

Une fiction, cette fois-ci, en provenance de Namibie, Kapana de Philippe Talavera. Le premier est courtier en assurances, vit au centre-ville et fréquente les endroits chics; le second, issu de la classe ouvrière, donc plus pauvre, gagne sa vie comme vendeur de kapana (une variété de viande). Entre les deux, une relation que le cinéaste tourne selon les conventions de toute évolution de relation amoureuse. Romantique, sensible, magnifiquement interprété par deux comédiens exceptionnels. Tous les deux masculin, disons l’un plus que l’autre, confirmant que le réalisateur refuse tout compromis avec les clichés. Un film libérateur, grand public et qui sans cesse, situe la thématique qu’il aborde (homesexualité, VIH, machisme, homophobie, attentes de la femme hétéro africaine) avec la plus grande liberté, du moins en ce qui concerne les pays de l’Afrique noire. Justement, à quand un film LGBT de fiction en provenance des pays du Maghreb. Si la tendance se maintient, il faudra attendre des décennies.

Tout compte fait, notre première incursion en territoire massimadien nous a paru essentielle, grâce à la découverte d’œuvres méritant plus de diffusion – mais ne soyons pas trop exigeants. Somme toute, ces cinéaste courageux doivent continuer leur lutte pour que des changements surviennent.

Massimadi
[ Évènement gratuit ]
En ligne
Jusqu’au 12 mars 2021