Nos fistons
[ Littérature québécoise ]
RECENSION
Pierre Pageau
★★★
Métier : « père »
Marc Cassivi est connu principalement comme critique de cinéma. Mais il a aussi produit plusieurs chroniques, culturelles et personnelles, toujours pour La Presse. Dans le présent ouvrage, l’auteur reprend une série de textes sur ses deux garçons, qu’il a entrepris entre 2007 et 2023.
Dans son excellente préface, Patrick Masbourian, lui-même père de cinq enfants, parle de ce « métier » de père, de ses beautés et difficultés; il invente même un jeu de mot : pour la quête du père il faut, selon lui, avoir au moins un « re–père ».
L’Introduction de Marc Cassivi est de rigueur. Il dira quelque chose qui peut nous rejoindre : pour lui ce sont deux garçons, pour un autre ce serait deux filles. Ce qui est bien mon cas, avec mes filles Judith et Véronique. Il rend ainsi le personnel, universel. Dans mon cas mon accord avec les idées et émotions de Cassivi se sont aussi confirmées avec la naissance de mes petits-enfants, aussi bien un garçon qu’une fille. Ainsi, c’est avec mon petit-fils que j’ai fait l’expérience du film Ratatouille (premier chapitre du livre). Lui aussi a voulu voir ce film et pour lui aussi ce film a été une forte expérience.
D’une certaine façon, le cinéma ne sera jamais loin. Parmi les grandes initiations à la vie que Marc Cassivi souhaite pour ses garçons il y a, bien sûr, le cinéma. Dans le chapitre C’est quoi ça?, il fait référence aux interrogations de ses jeunes face à des films forts différents. Cassivi découvre, par exemple, que les vieux films de Chaplin leur parlent encore, ou qu’ils réagiront positivement lorsqu’il le présentera Cinéma Paradiso. On aura donc compris qu’en fait le cinéma est très présent dans ce livre; les garçons de Cassivi finiront bien par y arriver.
Dans un chapitre consacré au soccer, et on sait combien Marc adore ce sport, il trouve le moyen de citer le long métrage documentaire Les vrais perdants d’André Melançon. Encore une fois, le cinéma, n’est jamais très loin.
Le livre contient quarante chapitres, ce qui est beaucoup. Cela risquait-il de transformer ses enfants en « bêtes de cirque »? Sur ce sujet, le chapitre Tolérance Zéro est très clair. Marc Cassivi est très clair : jamais il ne va se servir de ses garçons pour se créer des « cotes d’écoute ». Il ajoutera « À la maison la dictature de la discrétion règne ». Bravo ! Sur son statut de père, le questionnement est permanent. Devenir « père-là », une partie du livre où il se questionne sur ce qu’il peut attendre ou exiger de ses jeunes; seront-ils comme lui à l’adolescence? Dans une perspective en partie nationaliste Marc Cassivi se demande si des éléments actuels de la culture québécoise (musique, télévision, cinéma) vont continuer de les intéresser?
Ici, on touche encore à la question de la transmission, de l’éducation de ses enfants. Marc, comme tout bon parent, veut s’impliquer au maximum, mais il sait bien qu’il doit donner une marge de manœuvre (liberté) à ses enfants. Tous les parents s’y reconnaîtront. Des questions qui nous taraudent tous : sur le racisme ambiant, sur les études, sur des activités autres que scolaires, mais surtout la grande question, épineuse, de la sexualité, qu’on trouve dans La conversation »; on pourrait écrire le « la » en majuscule (LA conversation). Donc, ici encore on retrouve un père qui veut faire son travail d’éducateur, et l’éducation sexuelle est une partie très importante (Cassivi utilise le mot « primordial »). Et il trouve, encore ici, le moyen de parler de cinéma en citant le mot Boyhood (Richard Linklater). Parfois, tout le chapitre attaque un sujet complètement autre, comme par exemple celui qui évoque la grande manifestation à Montréal sur la question de la protection de l’environnement : « Sa première manifestation ». Ici, le père et le fils sont impliqués dans l’évènement. Ce qui rend Marc très heureux. Il faut des jeunes qui s’impliquent, contestent, et « Heureusement pour nous tous ».
Le premier texte est de 2007; le dernier de 2023, et celui-ci, logiquement, s’intitule Demain des hommes ». Ses deux garçons quittent, à leur façon, le domicile familial. Un ira étudier en cinéma l’autre en droit. Marc, lui, fête 50 ans. Il y a de la nostalgie dans l’air. Il n’a pas encore fait le deuil de tous ses souvenirs, de tous ses efforts et de ses ratés. Je peux lui confirmer que tous ses souvenirs vont demeurer. Et lorsque le père sera grand-père le tout va s’amplifier. On peut penser (espérer?) qu’un jour Marc Cassivi va publier sa version du livre de Victor Hugo, L’Art d’être grand-père.
Je suis en train d’écrire ce texte au moment où nous apprenons le décès de Michel Côté (personnage de Gervais, le père), et, en pensant à lui, impossible pour moi de ne pas évoquer la scène de C.R.A.Z.Y. dans laquelle il dit à son garçon (vraisemblablement gai) combien c’est beau, difficile, d’être père.
« Je sais que je suis pas un père parfait. T’aurais sûrement pas les problèmes que t’as là. (…) J’ai peut-être pas toujours été correct. J’essaie de comprendre ce qui nous arrive à pis c’est pas facile. (…) j’ai ma part de responsabilité là-dedans, je le sais. Je sais pas quoi te dire pour te faire comprendre que t’es pas ce que tu penses. (…)
Je peux pas refuser la plus belle chose qu’il va t’arriver dans la vie : d’avoir des enfants. Y’a rien de plus beau, de plus fort… pis tu t’en rends compte en maudit quand tu passes proche d’en perdre un… parce qu’il y a rien qui fait plus mal. »
Jean-Marc Vallée tourne ce moment dans une grande pénombre, avec le regard off de la mère, Laurianne; l’émotion est palpable.
Pour moi le texte de Cassivi, à de nombreux moments, retrouve la fibre émotive, qualitative, du scénario de Jean-Marc Vallée et François Boulay.
Nos fistons
Préface de Patrick Masbourian
Montréal : Éditions Somme toute, 2023
ISBN : 978-2-8979-4407-0
174 pages
[ Sans illustration ]
Prix suggéré : 22,95 $
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon.★★★ Bon.
★★ Moyen.★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]