Oscars 2024
courts & moyens métrages
@ Animations
De la mémoire
et des animaux
texte
Luc Chaput
Une jeune femme se souvient de son temps comme écolière, une autre d’une visite chez ses grands-parents et un vieil homme raconte sa vie d’une manière originale. Un cochon et un pigeon ont des rôles principaux dans les deux autres films en lice pour cet Oscar en animation.
Our Uniform est une proposition iranienne dont il n’existe semble-t-il aucun titre en farsi. Employant des éléments de vêtements, des tissus divers et des instruments de couture, la réalisatrice Yegane Moghaddam y dessine des petits personnages qui s’y promènent, s’y assoient et passent ainsi une journée à l’école. Les visages en plus gros plans sont enserrés dans un hijab et les individualités se précisent dans cet opus aux dessins simples mais beaux qui renforcent la portée de ce témoignage qui a gagné le Prix de la première œuvre à Annecy.
Dans Ninety-Five Senses, Coy, un vieil Américain, raconte la place des cinq sens dans divers moments de sa vie. Le personnage verbomoteur est interprété avec aplomb par Tim Blake Nelson, habitué des films des frères Coen. Pour rendre plus vivant le scénario de Chris Bowman et Hubbel Palmer, le couple de réalisateurs Jared Hess (Napoleon Dynamite) et Jerusha Hess emploient six équipes d’animateurs aux styles contrastés. L’écart entre le traitement visuel et le récit coloré de ce condamné à mort avant sa dernière marche en affaiblit la portée sociale.
Dans un univers au rendu visuel similaire aux jeux vidéo, un pigeon traverse difficilement les lignes d’un champ de bataille pour transporter de courts messages entre des combattants ennemis. L’animation est vivace, les arrière-plans bien composés, l’environnement sonore surchargé de bruit et de fureur s’allient pour soutenir ce combat de pions au jeu d’échecs tout aussi acharné mais moins meurtrier que ce qui se déroule simultanément autour d’eux. War Is Over! Inspired by the Music of John & Yoko est un emphatique hymne visuel pacifiste réalisé par l’Américain Dave Mullins. Il trouvera sûrement écho en ces temps de guerres innombrables.
Durant un jour du Souvenir de la Shoah en Israël, Haim, un vieil homme, raconte son expérience de survie dans une porcherie. La forme de lettre au cochon employée par l’écrivain provoque des réactions contrastées parmi les adolescents qui l’écoutent dans cette classe. La réalisatrice Tal Kantor allie finement dessins sur papier, prises de vue réelles, changement de plans étonnants et ambiance sonore travaillée dans ce retour, en peu de minutes, sur le temps qui passe et sur le souvenir qui ne se distille pas de même manière en chacun. Cette coproduction franco-israélienne, Letter to a Pig, constitue un candidat très sérieux pour cette statuette.
L’animation dans Pachyderme a un aspect pictural avec ces paysages très amples dont le ciel est souvent absent. Ceux-ci s’opposent à des intérieurs beaucoup plus serrés dans lesquels une petite fille tente de se fondre le soir. Le scénario de Marc Rius reconstruit en partie les souvenirs de cette fillette devenue adulte lorsqu’elle visite la demeure de ses grands-parents dans laquelle elle passait enfant une partie des grandes vacances. En onze minutes, un monde complexe s’ouvre à nous et Stéphanie Clément a réussi son pari de faire ressurgir des non-dits dans un récit à première vue bucolique.
Pour compléter ce bref programme, les programmateurs ont rajouté deux autres courts. I’m Hip, l’œuvrette personnelle de John Musker (Aladdin) est amusante, propulsée par un bon sens du gag sur une musique ironique. Wild Summon des Britanniques Karni Arieli et Saul Freed est une anthropomorphisation inutile de la vie d’une saumon qui n’intéressera que ceux qui n’ont jamais vu de ces grands reportages sur la nature que produit entre autres la BBC.