Oscars 2025
Courts métrages I

ÉVÉNEMENT
[ Fiction]

Opter

pour

un

meilleur

monde

Rituel annuel que les Oscars, dans le cas des courts métrages, qu’il s’agisse de la fiction, des documentaires ou de l’animation, moins courus que les longs, mais d’autant plus importants lorsqu’on les découvre, souvent réservant des surprises de taille autant dans la forme que dans le fond, des cinéastes, hommes et femmes, relevant le défi de parler et de montrer un monde aussi complexe que compliqué tel qu’il est aujourd’hui, proposant des thèmes que la fiction de long métrage, parfois, laisse aux oubliettes. Une question de chiffres sans doute. Il n’est pas question ici de faire des critiques traditionnelles comme nous avons l’habitude de le faire, mais de tenter de comprendre la thèse des cinéastes en question de ce qui a trait à leur vision du monde. L’ordre alphabétique des titres permet une meilleure lecture et dans le même temps, autorise la notion de débat sur divers enjeux sociaux.
Élie Castiel

A Lien

Dans A Lien, les frères David et Sam Cutler-Kreutz ont une idée bien précise sur les lois rigides de l’immigration, même lorsque l’un des conjoints, dans le cas présent, est Américaine de naissance. Le regard des cinéastes sur la question réside dans la forme. La caméra de Andrea Cavazzi explore de façon vertigineuse ce qui se passe autant dans les couloirs et bureaux des douanes, où les agents soupçonnent tout et rien, et dans la tête des principaux protagonistes. C’est une question de cadre, de plan, de correspondance entre le thème proposé et ce qu’on peut attendre du regard du spectateur. Finement travaillé. ★★★ ½

L’ex-philosophe devenu réalisateur Adam J. Graves se penche sur le travail (illégal) des jeunes enfants en Inde. Ici, c’est le cas de Anuja (excellente Sajda Pathan), du haut de ses neuf ans, qui doit décider entre rester dans la manufacture et être promu à un plus haut salaire, ou poursuivre ses études. Qu’importe ce qu’elle choisira. Ce qui importe, c’est que dans un pays qui se croit démocratique, les castes existent encore. Que dire de plus ? ★★★★

Anuja

Qu’arrive-t-il lorsqu’une jeune femme se rend compte qu’elle est une femme-robot avec toutes les caractéristiques des humains ? Elle délire, ne le croit pas et s’en prend à tout le monde. L’IA peut tout, même mêler les cartes de notre perception du monde. En fait, c’est de cela qu’il s’agit. Mais en amalgamant critique sociale, réalité futuriste déjà plus ou moins implantée et comédie, parfois lourde, la Néerlandaise Victoria Warmedam montre plus qu’elle ne suggère dans I’m Not a Robot (Ik ben geen robot), une façon de traiter du sujet en ne bousculant pas trop l’auditoire. Justement, il aurait fallu le faire. La sagesse peut parfois jouer de mauvais tours. ★★

 

Cindy Lee, c’est le souci de montrer les braconniers en service dans une Afrique du Sud où les cornes de rhinocéros sont devenus les proies d’un commerce hautement lucratif, ornant les demeures des plus nantis de ce monde. On le savait depuis longtemps, mais Lee obtempère on se soumettant à sa propre proposition, c’est-à-dire, déconstruire un genre – on pense au Hatari ! de Howard Hawks – le transformant en une critique acerbe de ce commerce illégal, mais qu’on semble tolérer. Et puis, dans The Last Ranger (Umlondolozi Wokugqibela), le récit d’une jeune adolescente qui apprend les rudiments du travail de garde forestier en participant dans tous les enjeux d’une aventure en direct, malgré les dangers. ★★★

De la Croatie, Nebojša Slijepčević propose The Man Who Could Not Remain Silent (Covjek koji nije mogao sutjeti), une fiction sur une contrée du monde, Bosnie-Herzégovine marquée du sceau du racisme religieux. 1993, B-H. Un train de voyageurs est arrêté par les forces paramilitaires dans le cadre d’une opération de nettoyage ethnique. Alors qu’ils évacuent des civils innocents, seul un homme sur 500 passagers ose leur tenir tête. Et le résultat… Auteur de plusieurs courts et d’un long en solo, Gangster of Love (Gangster te voli), Slijepčević suit les codes d’un cinéma de l’Est qui depuis de longues décennies cultive avec enthousiasmes le germes d’une production nationale où la forme est celle qui dirige la fiction, le récit, ces histoires d’Hommes et de Femmes pris dans la tourmente des conflits armés et de l’injustice difficile à éliminer une fois pour toutes. ★★★ ½

The Man Who Could Not Remain Silent

SUR TROIS DOCUMENTAIRES

Death by Numbers : Quatre ans après avoir été abattue avec un AR 15 dans son lycée, Samantha Fuentes se pose des questions existentielles de haine et de justice alors qu’elle se prépare à affronter son tireur. Au-delà de tous les enjeux éthiques et dont on parle de plus en plus souvent dans les médias occidentaux, un vrai fléau social que ces tueries perpétrées par des loups solitaires, la proposition de Kim A. Snyder repose plus particulièrement sur le face-à-face entre la victime et son assassin et sur l’extraordinaire plaidoyer en faveur de la responsabilité individuelle, la conscience de l’individu et celle de la collectivité, bien sûr sur l’éternel conflit relatif au port d’arme aux États-Unis, mais plus encore sur cette nouvelle catégorie de criminels, en très grande majorité des Hommes. En quelque sorte, une condamnation impitoyable du machisme ambiant. ★★★★

Sur un thème quasi similaire, I Am Ready, Warden, de Smitri Mundhra, connue pour des courts et des productions pour la télévision. Lorsque John Henry Ramirez est reconnu coupable de meurtre et condamné à mort dans l’État du Texas, pendant son incarcération, l’assassin tente de tendre la main au fils de sa victime tout en se préparant à dire au revoir à sa famille. L’originalité de la mise en situation de l’Américaine d’origine indienne Mundhra repose essentiellement sur la façon de saisir les visages, autant du détenu que du fils de sa victime. Au l’heure des bilans, la sincère volonté de vouloir changer, de se repentir, une sorte de confession laïque qui dépasse de loin en spiritualité celle des témoignage religieux, et cette volonté de vouloir exiger du spectateur une prise de position où la morale, l’éthique et l’humanisme priment avant tout. ★★★★

I Am Ready, Warden

Et pour finir, un documentaire japonais, Instruments of a Beating Heart (Kodō suru shinzō no gakki) de Ema Ryan Yamazaki, là où les élèves de première année d’une école primaire publique de Tokyo se voient proposer un défi pour le dernier semestre : interpréter L’ode à la joie lors de la cérémonie pour les nouveaux élèves de première année. La petite Ayame, qui a souvent du mal à suivre le groupe, est déterminée à jouer un rôle majeur : le gros tambour. Dès le très jeune âge, les choix, les défis, la course vers la réussite, mais aussi l’entraide, la camaraderie, le respect envers les enseignants, la discipline et surtout l’enthousiasme face à la pratique de la musique. C’est charmant, exemplaire, projetant une morale sociale qui, dans un certain sens, ne semble plus avoir de place en Occident. ★★★

Hasard coïncidence ? Sur les huit films couverts, trois sont mis en scène par des hommes, le reste, cinq, par des femmes. Comme quoi…

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]