Rebota rebota y en tu cara explota
CRITIQUE.
[ Scène ]
★★★★ ½
texte
Élie Castiel
Con
rabia
y
con
amor
(Avec rage et avec amour)
Le titre de ce happening-performance inusité est déjà une indignation,
une colère avouée au nom d’une malheureuse statistique selon laquelle,
en Espagne, deux (peut-être plus) femmes sont assassinées chaque
semaine. Crimes passionnels? Jalousie? Machisme exacerbé à haute
tension? Mal-être sexuel désavoué?
Agnés Mateus, interprète multidisciplinaire, conquise par la proposition. Quim Tarrida, artiste pluridisciplinaire. La première, probablement héritière d’un Almodóvar rebelle, anarchiste dans le bon sens du terme; le deuxième, manipulant les diverses formes techniques et physiques de la représentation.
Et un projet commun qui les interpelle au plus haut point; cet énoncé social d’une importance capitale s’avère, du point de vue théâtral, une des plus belles déclarations.
En français, Rebota rebota y en tu cara explota veut dire « Ça rebondit, ça rebondit et ça t’éclate en pleine face », mais qui dans le même temps sous-tend l’idée selon laquelle quel que soit le nombre de fois qu’on essaie de trouver une solution ou résoudre un problème, le hasard intervient pour saboter nos efforts. Quelque chose comme ça.
Espagnole? Catalane? Peu importe, Mateus est une véritable bête de scène. L’espace dramaturgique qu’elle occupe n’a qu’à bien se tenir car elle le possède, le manipule à sa guise, amalgamant du même coup performance, danse, chant et théâtralité, pugnacité de stand-up transcendé puisque ça bouge sans cesse. Diverses formes de la représentation qu’elle ajuste en se foutant des conventions, risquant les mots qu’on se dit en privé – couilles, pénis, vagin, foutre et ces multiples variantes aussi juteuses les unes que les autres alliant connerie, humour décapant, camp (notamment sa joute sur les sportifs, ces joueurs de foot (l’européen) adulés, un véritable tour de force, de magie verbale).
Mais rien de gratuit dans cet exercice contraire à la méditation, plutôt une rage, un cri de désespoir, et toujours conservant un esprit pince-sans-rire désopilant, très ibérique – je le comprends parfaitement; mes origines nord-africaines plus ou moins espagnolisées me le confirment – elle exécute les bien-pensants, décapite les contes de fées, comme défaire La belle au bois dormant ou encore Cendrillon, esquinte tous ces Princes charmants qui ne pensent, en fait, qu’à une chose, à l’instar de ces Chat botté ou encore…
Bref, elle suscite l’engouement dans une première partie qui ose, qui risque, qui remet en question les codes mêmes du spectacle sur scène et fait plonger l’art dramatique dans des abîmes insoupçonnés.
Pour calmer les esprits, même si ce n’est pas vraiment le cas, des intervalles de projections vidéo sur très grand écran montrent des terrains urbains remplis de détritus immondes où l’on aperçoit, à peine, le corps inerte d’une femme, bien entendu assassinée, il est évident. À mesure des projections, la femme sera de plus en plus identifiée, jusqu’à la finale, insoutenable, la caméra si proche qu’elle envahit
Brillante stratégie pour passer à une deuxième partie, véritable sujet de Rebota rebota y en tu cara explota : le féminicide qui frappe de plein fouet les sociétés contemporaines. N’avions-nous pas entendu parler il y a quelques années qu’en Inde, cette ignoble épidémie gagnait du terrain. Depuis le #MeToo, la purge anti-crise s’organise, les mentalités s’interrogent, mais pas au rythme qu’on aurait voulu.
Espectáculo molesto, trágicamente desesperado, rebelde, subversivo y sin embargo, cachondo, sexy, diferentemente pedagógico … En pocas palabras… De puta madre.
S’agit-il d’androphobie, cette peur des hommes? Pour certains (et malheureusement certaines sceptiques) le débat est hyper médiatisé. Mateus s’explique non pas par les mots, mais les gestes (de spectacles de foire, comme le lanceur de couteaux d’une époque révolue), certaines paroles de chansons typiquement masculines, sexistes.
Elle chante, elle danse, elle enfonce sa tête dans une bassine plein de terre tandis que sur l’écran un jeune au regard totalement absent, une sorte de nerd nouvelle génération se complaît à divertir une foule qu’on devine en exécutant des jongleries de toutes sortes.
Le message est clair, et l’espoir réside dans la capacité de l’auditoire à bien saisir l’importance du moment, du verbe, de la parole finalement étalée en pleine face. Pour Mateus, la rage est incisive, mais aussi amour.
Espectáculo molesto, trágicamente desesperado, rebelde, subversivo y sin embargo, cachondo, sexy, diferentemente pedagógico … En pocas palabras… De puta madre.
ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Concept
Agnés Mateus
Quim Tarrida
Inteprète
Agnés Mateus
Éclairages
Laura Morin
Son / Vidéo / Photographie
Quim Tarrida
Traduction des surtitres
Marion Cousin
Musique
Sources de musique techno
Durée
1 h 25 min
[ Sans entracte ]
Classement suggéré
Interdit aux moins de 16 ans
Diffusion & Billets @
La Chappelle
Jusqu’au 8 novembre 2022
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]