Rimbaud rusalème
ou le Nombre décrypté
RECENSION.
[ Essai-Poésie ]
★★★★
texte
Élie Castiel
En français, sans doute, double contrainte. Dans l’ouvrage en question, l’Homme, dans le sens large du terme, aurait perdu son appétit du spirituel dans le monde contemporain. Auteur abordant différents genres, Michel Arouimi ne cache pas son admiration pour Rimbaud, jusqu’à lui consacrer un ouvrage fort rigoureux sur certains de ses poèmes, et plus spécifiquement sur l’analogie entre certains d’entre eux et l’univers du Sacré, le Nouveau Testament prenant précédence sur l’Ancien.
Le parcours tracé est inusité, comme s’il s’agissait d’un travail de bénédictin dicté par un enthousiasme parfois délirant, un zèle de tous les instants qu’on lui accorde volontiers. Les inconditionnels et les experts de Rimbaud trouveront ce long parcours quasi scientifique. Les textes sacrés semblent avoir perturbé le poète dans la création de ses poèmes, y voyant dans les Saintes Écritures des concours de circonstances divines pour atteindre un niveau d’éthique, notion toujours confronté à l’esprit du mal (Apocalypse).
Le titre n’est pas vraiment un puzzle, trop direct pour qu’on ne sache pas qu’il s’agit d’un emprunt à la ville Sainte, la Jérusalem des trois confessions monothéistes.
L’oppression
conciliable
du double bind
À la page 129, il est dit que dans une lettre du 15 mai 1871, Rimbaud écrit que «Le poète se fait voyant par un long immense et raisonné dérèglement de tous les sens. L’adjectif « raisonné » suggère les moyens lyriques, mathématiques si l’on veut, de ce projet, rendu étrange par ce « dérèglement.» Le poète ne fait plus partie du commun des mortels. Il vit dans un étrange univers où le combat entre spiritualité et nourritures terrestres est d’une violence inouïe. Comme dans tout acte provisoire de création, ou peut-être même de contrition, Arouimi comprend admirablement bien la trajectoire rimbaldienne, mais reconnaît en lui que l’acte de gestation dépasse le réel pour s’enivrer des affres (ou contentements) de la Genèse (comme le début du monde), de l’élaboration des mots. Il dira que «Rimbaud est les maître du phrasé de ses poèmes et de leur ponctuation, mais les mots qui viennent sous sa plume ont une détermination qui échappe au contrôle conscient, quand les lettres qui les forment, même quand elles ne sont pas prononcées, participent à l’élévation d’une architecture poétique, dont les mesures sont celle décrite par Jean.» De quelle ville s’agit-il? Le lecteur saura trouver. Ce qu’on soulève dans cette citation, c’est justement, jusqu’à quel point, Rimbaud se trouve dans un état de délire éveillé lorsqu’il compose. C’est là où rien ne lui échappe. Pris qu’il est entre la faculté d’exister physiquement et de concevoir (quasi accoucher) métaphoriquement d’une partie de son âme.
Rimbaud se questionne constamment. À tel point qu’il peut être pris de nausée (symboliquement, bien entendu), mais toujours prêt à poursuivre ses recherches mystiques. Tout compte fait, un véritable Romantique.
La grande partie de l’ouvrage d’Arouimi est un rendez-vous avec les idées irréconciliables entre Rimbaud, l’Homme, le poète, et le Sacré, autrement dit, une notion abstraite, difficile à saisir puisqu’il s’agit d’un état d’esprit dont les codes, les contraintes, les édicules bâtis ne peuvent être totalement compris par la grande majorité, s’en tenant à les prendre pour acquis. Rimbaud se questionne constamment. À tel point qu’il peut être pris de nausée (symboliquement, bien entendu), mais toujours prêt à poursuivre ses recherches mystiques. Tout compte fait, un véritable Romantique.
Il y a aussi le Nombre, avec un grand N. Strophes, chapitres, versets, illuminations… tout ce qui se rapporte à ce partage entre l’Être et les textes sacrés, entre la vie sur Terre et la possibilité des Cieux. Entre la vie physique et l’éternelle existence de l’âme. Des vertus chrétiennes il va sans dire.
Peut-on expliquer ce phénomène en citant Lambros Couloubaritsis? De lui, Arouimi dira que «… ce chercheur assume le rôle séminal de cette conception dans la ‘philosophie européenne’, et d’abord dans la tradition judéo-chrétienne, où le Verbe est mis pour le Logos.» (pp. 7-8) D’une certaine façon, la voie de la raison, une variante que Rimbaud cherche à accomplir. Réaliser fiévreusement une œuvre de vie. Rien de moins. Tout n’est que mots et paroles mis ensemble. Pour exister. Le double bind disparaît. Il cesse d’être une contrainte.
Michel Arouimi
Rimbaud rusalème
ou le Nombre décrypté
(Coll. « Vertige de la langue »)
Paris : Hermann, 2021
261 pages
[ Sans illustrations ]
ISBN : 978-1-0370-0898-5
Prix suggéré : 26 Euros
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ÉTOILES FILANTES
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½ [ Entre-deux-cotes ]