Saint Omer

P R I M E U R
[ En salle ]
Sortie
Vendredi 13 janvier 2023

SUCCINCTEMENT.
Rama, jeune romancière, assiste au procès de Laurence Coly à la cour d’assises de Saint-Omer. Cette dernière est accusée d’avoir tué sa fille de quinze mois en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France.

 

COUP de ❤️
de la semaine.

CRITIQUE.

★★★★ ½

Pour Alice Diop, comment résister à la tentation de construire un premier long métrage de fiction autour d’un thème que le grec Euripide a érigé en des mots parmi les plus intenses de la littérature antique. Sa Médée, là où la métaphore tient lieu de « l’état des lieux » de la condition féminine, où, également, les enjeux psychologiques tels que vécus par la trahie, la laissée-pour-compte, relèvent d’un contexte qui dépasse le quotidien.

Comme

Médée

texte
Élie Castiel

Mais qui, dans Saint Omer, sont compris par Me Vaudenay (excellente Aurélia Petit) lorsqu’elle livre avec une extraordinaire dimension humaine ses dernières remarques dans le procès de Laurence Coly, accusée d’avoir noyé sa fillette de quinze mois. Effectivement, il y a une ressemblance avec la Médée d’Euripide dans ce drame infanticide. Lorsqu’on lui pose la question du pourquoi de cet acte, elle répondra que peut-être le déroulement du procès l’aidera à comprendre.

Constat qui illumine la trajectoire de Rama (Kayije Kagama), femme de lettres, qui assiste à l’audience; comme actrice, une véritable révélation par sa présence à l’écran, plus encore par son rapport à la caméra, par son comportement au déroulement du procès, jusqu’à ce sourire complice que Laurence, l’inculpée (excellente Guslagie Malanda) lui envoie et qui répond par un léger écoulement de larmes senties. Comme si deux âmes en peine, l’accusée, pour les raisons que l’on sait, et l’écrivaine qui veut reprendre cette affaire pour en faire un discours social au profit de l’accusée.

Le regard tourné vers l’assistance et les jurés.

Jusqu’à un certain point, on pense à Cri de femmes (Kravyí Yinekón) de Jules Dassin, où Maya (puissante Melina Mercouri), voulant comprendre son rôle de Médée dans une adaptation théâtrale, visitait une étrangère incarcérée, coupable d’avoir tué ses enfants. Le mythe antique semble ne pas avoir pris une ride.

Dans le film de Diop, la mise en scène prend la place qu’elle mérite, c’est-à-dire, son espace, sa liberté de mouvement, ses possibles retournements, sa vulnérabilité, ses envies de désorienter le spectateur, comme c’est le cas de Laurence Coly, la mère infanticide, qui sans s’en rendre compte, mue par une énergie qui embrase sa double culture, l’occidentale et l’africaine, celle-ci prenant souvent le dessus, accouple les fondements du sortilège et l’esprit cartésien de la civilisation occidentale, selon ce qui lui convient. Non pas par manipulation, mais selon une attitude propre à sa culture.

À un moment donnée, on verra un extrait de Medea, de Pasolini, où Maria Callas exécute son intention avec un remarquable sens de la distanciation. Sur fond de musique stridente aux tonalités africaines, comme dans Saint Omer, ces voix perçantes représentant en quelque sorte le chœur Grec. Idem pour les propos tenus par Me Vaudenay, filmé en plan frontal, face aux spectateurs, révélant le vrai visage de l’accusée, victime d’une société apathique, autant la sienne d’origine que celle de la terre d’accueil.

En prenant comme pièce de conviction un drame social insoutenable vécu, Diop (alter ego qui s’immisce implicitement dans la peau de Rama), propose un effet miroir lucide, rebelle, baignant dans une atmosphère aussi exténuante que brillamment révélatrice de notre inéluctable fragilité.

Une œuvre intemporelle, un immense moment de pur cinéma. Les couleurs aux bruns aussi subtilement chatoyants qu’éteints, la lumière qui ne faiblit jamais, sauf dans des moments intimes, comme si la vérité, rien que la vérité, était le but de ce procès. Mais quelle vérité?

Diop la transforme en un discours intellectuel, philosophique, voire même politique. Les multiples colonisations de l’Afrique, incluant l’Afrique du Nord, et les vagues migratoires d’Africains en Occident ont-elles eu des répercussions? Cette question est intelligemment posée en filigrane par une Alice Diop lucide,

En prenant comme pièce de conviction un drame social insoutenable vécu, Diop (alter ego qui s’immisce implicitement dans la peau de Rama), propose un effet miroir lucide, rebelle, baignant dans une atmosphère aussi exténuante que brillamment révélatrice de notre inéluctable fragilité.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Alice Diop

Scénario
Amrita David
Alice Diop
Marie Ndiaye

Images : Claire Mathon

Montage : Amrita David

Musique : Caroline Shaw

Alice Diop.
Une façon de se prendre en main.

Genre(s)
Drame judiciaire
Origine(s)
France

Année : 2022 – Durée : 2 h 03 min
Langue(s)
V.o. : français; s.-t.a.

Saint Omer

Dist. [ Contact ] @
Enchanté Films
[ Films We Like ]

Diffusion @
Cinéma Beaubien
Cinéma du Musée
[ Cinémathèque québécoise ]

Classement
Visa GÉNÉRAL

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon.★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]