Scènes de la vie conjugale

CRITIQUE

| Élie Castiel – ★★★★|
L’INTIME ET L’IMMUABLE

Deuxième adaptation, en 2019, d’une œuvre de Bergman. Après le très remarqué Fanny et Alexandre, au TDP, Scènes de la vie conjugale (d’abord une télésérie, puis un film pour le grand écran) prend le risque de la scène au 4’sous, parmi les salles intimes théâtrales de la métropole. Un espace dramaturgique plus grand que nature qui s’impose comme si, quelle que soit la pièce montée, ne laisse jamais le spectateur sur sa faim.

Mis en scène, adapté du texte de Bergman et interprète du personnage masculin, un James Hyndman atteint par l’acte de l’interprétation comme si la scène représentait le théâtre de la vie, comme si les mots, les paroles, les silences tendus et les gestes ordinaires de l’amour qui s’éteint et de la rupture attégnaient des niveaux psychologiques hors du commun. Comme dans les films de l’auteur suédois, des moments graves, taciturnes, malicieusement optimistes, mais dans le même temps, porteurs d’un savoir sur l’individu et sur le couple hétérosexuel.

Scènes de la vie conjugale

Crédit photo: ©Yanic Macdonald

La proposition de Hyndman tient sur un mince fil, un état des lieux des (im)possibles des relations. Pour le Suédois, vie intime et espaces cinématographiques forment une constante et intègre adéquation. Pour le Québécois, la scène est un terrain d’expérimentation où jeu traditionnel, décor magnifiquement cadré et vidéo sur fond de scène voyeur constituent un équilibre sain, voire même émouvant, touchant nos cordes les plus sensibles.

Là où désespoir et résignation s’incrustent maladroitement. Dialogue simple comme dans les films d’Ingmar Bergman, mais tout aussi empreints de vérités, de mensonges, d’attirances et de regrets. L’homme adultérin, non pas par choix, mais par instinct, selon des codes régis par une masculinité créée de toute pièce par la société ou naturelle peut-être chez l’homme.

… un duo en pleine rupture amoureuse que le décor soigné de Stéphane Longpré emprisonne délibérément à l’intérieur d’un cadre (référence cinématographique) serré, sans échappatoires.

Et la femme, envisageant une rupture comme une fin de monde, un mode de vie, jusqu’à que, finalement, elle se rende compte que les temps changent et, en général, la situent du bon côté.

Evelyne de la Chenelière, c’est autant les Bibi Andersson, Liv Ullmann, Harriet Andersson et Ingrid Thulin de ce monde. Muse pour les besoins de cette adaptation, femme de théâtre, comédienne. Des disciplines qu’elle assume avec distinction, un rapport à la scène et aux spectateurs d’une complicité hallucinante.

En somme, livrant, avec son compagnon de jeu, un duo en pleine rupture amoureuse que le décor soigné de Stéphane Longpré emprisonne délibérément à l’intérieur d’un cadre (référence cinématographique) serré, sans échappatoires. Sujet maintes fois traité; mais entre les mains de Hyndman, il résonne comme un mise en abyme non seulement des deux formes de la représentation, mais également comme une récurrence de l’amour et de l’(in)fidélité. Car c’est aussi de ces opposés que traite Scènes de la vie conjugale, confrontant avec lucidité l’intime à l’immuable.

 

 

Auteur: Ingmar Bergman – Adaptation
Mise en scène: James Hyndman, d’après la télésérie et le film Scènes de la vie conjugale (Scener ur ett äktenskap) et la pièce Scenes from a Marriage [Dramatists Play Service, Inc.]
Traduction: Carl Gustaf Bjuström, Lucie Guillevic [© Éditions Gallimard]
Assistance à la mise en scène: Ariane Lamarre
Décor: Stéphane Longpré
Éclairages: Julie Basse
Costumes: Julie Charland
Musique: Laurier Rajotte
Concept vidéo: Thomas Payette, Antonin Gougeon (HUB Studio)
Distribution: Evelyne de la Chenelière (Elle), James Hyndman (Lui)
Prod.: Théâtre de 4’Sous.
Durée: 1 h 35, (Sans entracte)
Représentations: Jusqu’au 8 mai 2019, Théâtre de Quat’Sous