Pour donner la possibilité à la majorité des danseuses et des danseurs du corps de Ballet, les interprètes changent selon la journée de représentation. Ce soir de Première, Kiara DeNae Felder et Hamilton Nieh campent une Juliette et un Roméo impeccables, notamment dans le sprint final que tout le monde connaît et attend avec fébrilité. Sens de la sens, comme c’est tout à fait naturel, mais aussi et surtout de la dramaturgie, tous deux investis dans leur personnage. Tout en soulignant leur pas de deux transcendant.
Le tragique a
toujours raison
Puisque cela relève du travail d’Ivan Cavallari, juxtaposant les origines théâtrales de l’œuvre et ballet. Ici, ces deux disciplines artistiques s’enchevêtrent l’une à l’autre pour constituer une sorte « d’opéra dansé ».
Le rythme, la cadence, les correspondances physiques entre les danseurs, leurs rapprochements essentiels selon l’oeuve de Shakespeare sont constamment sentis. Ce mélange de disciplines nous laisse pantois. Ça faisait des lustres qui, pour des raisons qui m’échappent, je n’avais pas été convié aux spectacles des Grands Ballets.
Kiara DeNae Felder (Juliette) et Hamilton Nieh (Roméo). Une symbiose amoureuse. Crédit : Sasha Onyshchenko
P R I M E U R [ En salle ] Sortie Vendredi 25 mars 2022
SUCCINCTEMENT. L’arrivée d’un grand colis postal à Montréal ravive des souvenirs d’événements dans un pays du Proche-Orient.
CRITIQUE.
★★★ ½
texte Luc Chaput
En hiver, dans un parc enneigé de Montréal, une femme et sa fille adolescente échangent en se promenant des confidences.
L’histoire tragique du Liban dans les cinquante dernières années a suscité de nombreux films de fiction et documentaires de cinéastes nationaux ou étrangers. Les réalisateurs et artistes multimédias. Joana Hadjithomas et Khalil Joreige revisitent d’une manière différente ces vies remplies de joies, de peines et d’exils. Le jour de Noël, une grosse boîte est apportée par un service postal dans un bungalow montréalais. Cette irruption dans la préparation de la fête suscite des réactions contrastées entre la grand-mère et Alex. Cette dernière, aiguillonnée par l’interdit de la mère, décide d’inspecter le fameux colis et y trouve des cahiers, cassettes et photos.
Des sources d’espoir
Une façon comme une autre de remuer le passé.
La lecture et l’audition de ces documents personnels. fruits d’un échange épistolaire de longue haleine entre Maia et Liza, amène la construction d’un cinéma intérieur chez la jeune fille qu’elle documente et réécrit également à sa façon en utilisant les propriétés de son cellulaire.
Des moments cachés de l’existence d’une proche remontent ainsi à la surface, propulsés par les effets spéciaux de modes ancien et nouveau mis en scène élégamment par les cinéastes à partir d’éléments autobiographiques fictionnalisés. L’arrière-plan de la guerre civile nous revient ainsi en mémoire recoupant certaines scènes de Hors la vie de Maroun Bagdadi, West Beyrouthde Zia Doueiri et Il était une fois Beyrouth, histoire d’une star (Kanya ya ma kan, Beyrouth) de Jocelyne Saab. L’insouciance de Maia jeune est ainsi confrontée à des situations aux conséquences très dramatiques.
L’espoir d’une résilience continue malgré tout et s’inscrit dans ces images tournées avant l’explosion du 4 août 2020, propulsées par le retour à des musiques entraînantes des années 80.
La reconstitution d’une histoire commune par la transmission entre ces trois femmes est soutenue émotivement par la délicate interprétation de Rim Turki et de la nouvelle venue Paloma Vauthier. Le retour au pays natal, sur un bord de mer ensoleillé garde un caractère enchanteur. L’espoir d’une résilience continue malgré tout et s’inscrit dans ces images tournées avant l’explosion du 4 août 2020, propulsées par le retour à des musiques entraînantes des années 80.
P R I M E U R [ En salle ] Sortie Vendredi 25 mars 2022
SUCCINCTEMENT. Marianne Winckler, écrivaine reconnue, entreprend un livre sur le travail précaire. Elle s’installe près de Caen et, sans révéler son identité, rejoint une équipe de femmes de ménage.
CRITIQUE.
★★★ ½
texte Élie Castiel
C’est, en quelque sorte, proche du cinéma de Bruno Dumont et des frères Dardenne, mais beaucoup moins ancré sur la formalité du plan, un certain lyrisme et paradoxalement, une volonté d’écorcher le plan, prises de position essentielles pour les cinéastes cités. Emmanuel Carrère essaie de filmer le réel, frisant parfois le documentaire alors que la caméra s’échauffe, s’évertue à filmer les moments forts, s’énerve devant une telle ou telle situation, ne négocie jamais avec les situations.
En attendant, Carrère soulève le débat même si enclin au ton romanesque, préférant l’horizontalité du récit à la complexité d’élans pris sur le vif.
Sauf quand les circonstances la dépassent, comme cette confrontation finale qui tente une possible réconciliation. Si le film est tiré d’un récit autobiographique de la journaliste française Florence Aubenas, force est de souligner qu’avec la présence de Juliette Binoche, qui multiplie ici divers registres d’interprétation, Carrère n’a d’autre choix que de céder à la direction d’acteurs – y compris celle avec des comédiennes/comédiens non professionnel(les. L’enquête sur le vif d’Aubenas se transforme pour ainsi dire en drame social, y allant de toutes les possibilités en termes de récits narratifs.
La mise en scène, donc, montre les moments cruciaux de ces travailleuses (et travailleurs) de la propreté, leurs shifts de travail insoutenables pour un si petit salaire ; en fait, au salaire minimum. C’est à Caen, en France, un autre endroit où sévit la crise économique.
Chacune
sa place
La possibilité d’un rapprochement social.
Les emplois sont précaires, les rêves d’une vie meilleure utopiques, les relations affectives, coincées ou inexistantes, les responsabilités familiales – monoparentalité – énormes et constantes. Et parfois, pour oublier, se payer du bon temps.
Il ne reste plus que la solidarité, la prise de conscience sociale collective, la remise en question, parfois sourde, du système en place. En fait, Carrère semble se poser la question, bien simple, mais éprouvante : « Qu’est devenue la France? ». Immigration massive incontrôlée? Crise économique? Démographie galopante? Manque d’éducation ? Aujourd’hui, dans les débats des chefs en vue de la présidentielle française, tous et toutes se prononcent peu sur la question, sauf peut-être un Zemmour diablement extrémiste qui sait très bien que certaines de ses idées ne pourront jamais se réaliser.
En attendant, Carrère soulève le débat même si enclin au ton romanesque, préférant l’horizontalité du récit à la complexité d’élans pris sur le vif. Juliette Binoche s’approprie son personnage, mais donne l’occasion à ses contrechamps d’imposer leur image. Et cette fin qui ne peut qu’emboîter le pas à celle du récit original, d’un réalisme percutant. En fin de compte, chacun sa place, comme ça a toujours été, l’est et le sera. Parfois, l’art imite bien la vie.