RÉSUMÉ SUCCINCT. Été 1900, au cœur d’une vallée du sud de la Suisse. Elisabeth, 17 ans, est sur le point de prononcer ses vœux après cinq ans passés au couvent. La mort soudaine de sa sœur l’oblige à retourner dans la ferme familiale pour assumer son nouveau rôle d’aînée.
Le Film de la semaine
CRITIQUE Élie Castiel
★★★★
Corps
célestes
Un premier long métrage pour Carmen Jaquier, signataire de quelques courts sujets où elle impose déjà une écriture, une intention. Cette fois-ci, du moins au début, elle se fait comme une sorte d’héritière d’un Alain Cavalier, notamment au début, alors que le quasi-silence a droit de cité, imposant par là-même des plans fixes, non seulement comme choix esthétique, mais mettant en évidence la continuité libératrice dans le comportement du personnage principal. Comme si son inconscient devenait « être » plus que « paraître ».
C’est elle, Elisabeth, la jeune couventine de 17 ans qui devra quitter les Ordres suite au décès de sa sœur ainée. Dans retour dans sa famille, elle sera la nouvelle grande sœur .
Film primé dans diverses manifestations cinématographiques, Foudre regarde ses personnages par le petit bout de la lorgnette et, progressivement, établit un lien beaucoup plus indiscret, s’ouvrant à la Nature et (littéralement) au spirituel, élevant la principale protagoniste – très versatile cinégénique Lilith Grasmug, une grande révélation qui évoque certaines de ces héroïnes bressoniennes au rang de celles sur qui il faut compter désormais.
Une affection pudique à la transgression.
En apprenant la vérité sur la disparition de sa sœur Innocence, prénom non pas pris au hasard, et à la découverte de son journal intime, Elisabeth s’inscrit dans le royaume des possibles, particulièrement dans le domaine de la sensualité et de la découverte du corps. Cette option lui offre la possibilité de multiplier son registre dans l’art d’interprétation : devenir une femme, découvrir ses parties les plus cachées, s’ouvrir à la sexualité féminine que les préceptes de la foi lui interdisent, sans compter sur l’exploration du corps masculin ; en quelque sorte, la fascination qu’exerce la nature sur l’Être.
Quelque part, Foudre est le récit de l’émancipation d’une jeune femme dont l’image finale, sans l’avouer ouvertement, en raison de son caractère abrupte, conduit cette nouvelle affranchie vers de nouveaux horizons, sans aucun doute, plus approbateurs.
Mais toutes ces manifestations sont filmées avec un sens remarquable du minimalisme, aucune affectation, sans doute seulement à la fin, et même là, lorsque les corps des trois adolescents se joignent au sien dans des jeux d’attouchements réciproques ou la sexualité n’est plus hétérosexuelle ou homosexuelle, mais simplement une question de complicité, d’échanges, d’apprentissage déjà réalisé. Mais ces moments ne durent que quelques instants, le temps de constater que le film de Jaquier adhère à un cinéma de l’émotion formelle, sentir à partir d’éléments filmiques.
Le choix chromatique ne constitue pas un simple caprice esthétique, mais se situe dans un discours cinématographique entre la forme et le fond. Les couleurs changeront de ton et de finesse selon les étapes psychologiques et lieux où se situent les personnages – surchargées, discrètes, balayées par le vent. Le soleil se fait radieux seulement lors de ces brefs moments où les corps imberbes et purs se découvrent mutuellement.
Quelque part, Foudre est le récit de l’émancipation d’une jeune femme dont l’image finale, sans l’avouer ouvertement, en raison de son caractère abrupte, conduit cette nouvelle affranchie vers de nouveaux horizons, sans aucun doute, plus approbateurs.
FICHE TECHNIQUE PARTIELLE Réalisation Carmen Jaquier
Scénario : Carmen Jaquier Direction photo : Marine Atlan Montage : Xavier Sirven Musique : Nicolas Rabaeus
Genre(s) Drame Origine(s) Suisse Année : 2022 – Durée : 1 h 32 min Langue(s) V.o. : français Foudre
RÉSUMÉ SUCCINCT. Regards du photographe Richard Mosse sur les changements de paradigme en Amazonie.
CRITIQUE Luc Chaput
★★★ ½
Eldorado
dévasté
Des conquistadors s’enfonçant dans la jungle à la recherche d’une cité dorée, des planteurs devenant richissimes par la récolte du caoutchouc naturel, le cinéma a présenté de multiples fois cette Amazonie dont l’image scientifique s’est depuis beaucoup modifiée dans cette époque de crises climatiques devenant un poumon de la terre fourmillant d’une biodiversité incroyable.
Le photographe irlandais Richard Mosse, déjà reconnu pour ses installations (The Enclave, 2013), s’est rendu avec une équipe réduite à plusieurs reprises au Brésil et en Équateur pour documenter les changements rapides qui s’opèrent dans ce vaste territoire transfrontalier par l’exploitation plus industrielle et même débridée des ressources. Broken Spectre, présenté au Centre Phi sur quatre canaux totalisant vingt mètres, est une immersion visuelle et auditive dans cet univers vulnérable.
Une diversité de couleurs.
Des plans pris de drones ou en hélicoptères et utilisant la pellicule Kodak Aerochrome transforment les forêts ou les arbres isolés dans des rouges, des roses ou d’autres teintes qui rendent patent le gouffre entre cette verdure polychrome et les espaces voisins dénudés à la suite de brûlis. Le noir et blanc très contrasté se retrouve dans les passages au ras du sol, de cavaliers rassemblant des troupes de zébus, de chercheurs d‘or usant du mercure et de bûcherons trucidant des grands arbres. L’éloquente cinématographie de Trevor Tweeten nous enveloppe, trouvant le détail significatif avant de prendre un pas de recul qui permet des associations qu’il crée par son montage avec les flots d’images venant des autres écrans. La bande-son du compositeur Ben Frost triture les cris d’animaux, amplifie les bruits des arbres qui tombent plaçant tout d’un coup un silence qui devient alors assourdissant.
Installation vidéo sur un Eldorado dévasté et presque au point de rupture qui devrait permettre à plusieurs, peut-on l’espérer, de mieux comprendre certains effets de la mondialisation sur notre planète bleue.
Cette vidéo de soixante-douze minutes trouve son point culminant dans la longue diatribe d’Adneia, une Yanomani implorant l’aide des autorités contre les incursions criminelles dans son territoire ancestral1. Installation vidéo sur un Eldorado dévasté et presque au point de rupture qui devrait permettre à plusieurs, peut-on l’espérer, de mieux comprendre certains effets de la mondialisation sur notre planète bleue.
1Des individus de ces populations autochtones sont également auteurs de vidéos disponibles sur Internet entre autres grâce à l’organisation de Vincent Carelli : Video nas Aldeias (Vidéos dans les villages).