The Cultural Life of James Bond:
Specters of 007
RECENSION.
[ Essais-Cinéma ]
★★★★
texte
Élie Castiel
Le célèbre agent est livré en pâture aux théories pour le moins musclées de dix-neuf universitaires qui prennent un malin plaisir à décortiquer le phénomène mondial dans ses moindres manifestations. L’espion de Sa Majesté n’est plus un homme comme les autres, mais une idée, un surhomme littéraire inventé par un Ian Fleming plus British qu’il ne l’est, « for Queen and Country »; le héros, lui, devient le gardien d’un certain ordre (sécurité) mondial, voire occidental. Il ne recule devant rien pour l’assurer.
Quinze chapitres répartis en cinq thèmes plus ou moins de longueurs égales, chacun comptant cinq propositions. Un début étonnant à propos d’un « James Bond méconnu » – The Forgotten Bond, p. 25 – Il s’agit de la version télé (1954) de Casino Royale. Certains, pour ne pas dire plusieurs, l’ignorent, vouant leur inconditionnelle affection envers le célèbre agent à partir de Dr. No / James Bond 007 contre Dr. No (1962). Nouvelle décennie, nouvelle génération, un regain d’intérêt pour le cinéma malgré une télévision de plus en plus envahissante. Et c’est en couleurs. Et James Bond trouve le temps de contempler (pas seulement) les jolies femmes. Pas « filles », mais « femmes ».
La première partie, « Beyond Britain », montre jusqu’à quel point le phénomène envahit le monde, dans des endroits insoupçonnés comme en Union soviétique ou encore l’Inde, plus apte à l’imitation occidentale, bien que consciente de ses ajouts locaux (danses, chansons). On parle même du Mexique («The Dead Are Alive», p. 81). Étonnant
À brûle-pourpoint
Toujours est-il que The Cultural Life of James Bond, dont le sous-titre « Specters of 007 » renvoit à une idée évolutive du personnage en question, n’est après tout que la fin d’un cycle qui aura résisté presque au-delà de six décennies. Tenir tête ou pas! Que faut-il en tirer de cette ouvrage fort documenté?
Bond, le Super-Homme, le Joueur dans les casinos huppés durant ses temps libres, l’Amant d’un soir dans les 5 étoiles. Tout cela est bon. Mais qu’en est-il vraiment de ses rapports avec les femmes? Les années 60 et 70, voire même 80, malgré une intervention féministe des plus musclées, s’en tirent assez bien. Cela se voit même dans les génériques du début où les concepteurs, bien entendu mâles, s’arrangent pour sculpter les formes féminines en les érotisant au goût du jour, d’une certaine façon, même offrant même un regard avant-gardiste. Aux théories de Maya Luckett dans « Femininity, Seriality and Collectivity: Rethinking the Bond Girl » (p. 149), j’ose ajouter qu’a bien observer ces génériques d’une audace intellectuelle brillante, n’y a-t-il pas, consciemment ou inconsciemment, une séduction charnelle, corporelle, inatteignable, autrement dit « voir sans toucher », comme ce fut le cas pour les spectacles de strip-tease des cabarets bien côtés de la Ville lumière des années 1960 et que certains mondo-movies nocturnes montraient. La femme s’expose certes, mais elle demeure au niveau du fantasme. Comme certaines femmes fantasment aussi sur les hommes. À ce chapitre, Luckett, comme on s’y attend va plus loin, et une argumentation pourrait résumer ses propos… Postfeminist efforts to reclaim the Bond Girl as a feminine icon likewise bring Bond Girls together to create historically impossible female groups that contest serial logic.(p. 166) Ou simplement dit, l’impossibilité de choisir entre deux mondes.
Dans l’ensemble, un jargon académique, universitaire, qu’on croyait déjà perdu. En vain puisqu’il perdure, chaque génération de nouveaux auteur(es) imitant leurs prédécesseurs. Sauf dans le cas de Jeong Seung-hoon, à la plume directe, limpide, articulée, évitant les préciosités d’usage. Et que dire de son article, « Global Agency between Bond and Bourne » (p. 207). Bond « persiste et tire », mais petit à petit il est remplacé par un Bourne, plus proche du commun des mortels, avec ses failles, ses vulnérabilités, sans doute mises en abymes des spectateurs-hommes qui regardent les aventures de ce héros auquel ils s’identifient parce que d’une certaine façon, il leur ressemble. Le contraire de James Bond, personnage quasi extradiégétique qui les dépasse, avalisé aux fantasmes héroïques de super-homme que personne ne peut se permettre d’imiter. Un personnage-écran.
Tous les auteur(es), sauf dans le cas de Jeong, de Muruyan et du trio Behlil, Sanchez Prado et Verheul, croient bon de proposer une conclusion à leurs écrits, comme si le lecteur n’avaient pas compris de quoi il s’agissait dans leurs textes. Justement, à leurs places, on aurait voulu plus d’illustrations. Mais bon, question de droits? De volonté?
La partie sur Shirley Bassey, grande Dame de la chanson pop d’autres décennies et attitrée à trois Bond, mérite un chapitre unique (p. 269). Les liens entre les paroles des chansons, la voie unique de Bassey, les liens qu’elle fait entre la musique, la chanson et le cinéma et, plus prudemment, son idéologie sociopolitique due à son rang.
Toujours est-il que The Cultural Life of James Bond, dont le sous-titre « Specters of 007 » renvoit à une idée évolutive du personnage en question, n’est après tout que la fin d’un cycle qui aura résisté presque au-delà de six décennies. Tenir tête ou pas. Que faut-il en tirer de cette ouvrage fort documenté?
Comme le suggèrent les bonzes hollywoodiens, les mouvements contestataires comme #MeToo, Black Lives Matter et les diverses manifestations LGBT et autres peuvent ouvrir une nouvelle voie au phénomène Bond, une autre façon pour ces élans sociaux de continuer à s’affranchir. Sans se ménager, à brûle-pourpoint. Quelles que soient les conséquences dans l’inconscient collectif. Mais peut-être qu’il y a là danger de voir un phénomène disparaître.
The Cultural Life of James Bond:
Specters of 007
Sous la direction de Jaap Vernell
Amsterdam : Amsterdam University Press, 11-2020
[ Illustré ]
334 pages
[ Avec illustrations ]
ISBN : 978-9462-9821-85
Prix suggéré : 176,95 $
ÉTOILES FILANTES
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½ [ Entre-deux-cotes ]