Théo Angelopoulos ou la poésie du cinéma politique
RECENSION.
[ Cinéma ]
texte
Élie Castiel
★★★ ½
Dans ses repères bibliographiques, non exhaustifs, l’auteur semble privilégier Positif, la revue mythique de cinéma. Force est de souligner que Michel Ciment, le rédacteur en chef, a suivi la carrière de Théo Angelopoulos jusque dans ses moindres contextes diégétiques et vecteurs d’analyse.
Une parenthèse : lors de mon séjour au Festival de Thessalonique au début des années 2000, j’ai assisté à une conférence réunissant des experts du cinéaste grec. Ciment faisait partie des conférenciers, présentant une brillante communication. Moi-même, à titre de chargé de cours, ayant enseigné le cinéma grec pendant plus de vingt ans à l’Université de Montréal, Angelopoulos prenait une place considérable dans le corpus. Trois ou quatre rencontres avec lui, ici, et en Grèce, ont solidifié mon enthousiasme pour ce cinéaste avec, comme résultat, un mémoire de maîtrise portant sur le plan-séquence dans Le voyage des comédiens (O Thíassos). Fin de la parenthèse.
Au fil
du temps
Trois cycles (d’inspiration) angelopoulossiens constituent la charpente de cet essai où l’analytique est souvent exprimé par des extraits d’entrevues avec le cinéaste dans diverses publications. Estève enrichit l’ensemble de ses propres connaissances du sujet. On pourrait même souligner que le traitement chronologique de cet ouvrage est sans doute au diapason de l’œuvre d’Angelopoulos, comme s’il s’agissait d’un même et unique film en ébauche, un corpus cinématographique qui ne cesse de chercher son parcours identitaire. Chaque film annonçant le prochain. Dans mon intervention avec le cinéaste il y a des années au défunt Festival des films du monde de Montréal, Angelopoulos confirmait le cheminement de son œuvre, en constante mutation et dans le même temps, se concrétisant de film en film.
Le livre de Stève inclut La reconstitution (Anaparástassi), élaboré à part, premier long métrage du réalisateur, le seul en noir et blanc, annonciateur d’autres productions à venir, dont certaines, en sourdine, en magnifiques subtilités, renvoient à ce premier essai fulgurant.
La plume de Stève est claire, accessible, fluide, situant Théo Angelopoulos dans la sphère des imaginaires possibles et ses films, malgré leur esthétique particulière, dans le terrain de la poétique – « La reconstitution nous fait ressentir le climat qui sera celui de tous les films du cinéaste : non pas un ciel bleu du soleil propres aux paysages méditerranéens, mais un ciel couvert, nuageux, la pluie, une atmosphère sombre, une tonalité noire pour la photographie. », p. 9-20.
Mais c’est Le Voyage des comédiens, son chef-d’œuvre incontestable, qui demeure le moment inégalé, alors que le cinéaste exprime avec le plus de clarté son discours interventionniste sur les images en mouvement, leurs revendications sociales et politiques.
Pour Angelopoulos, le séculier permet l’éclosion des idéologies, mais il en prescrit une forme humaine, quasi romantique, dans le bon sens du terme. C’est le cas, par exemple, dans L’apiculteur (O mélissokómos), particulièrement dans la rencontre entre Spyros (Marcello Mastroianni) et un de ses amis malade (Serge Regianni), à l’hôpital – « Cet ami appartient comme lui (et comme Théo Angelopoulos) à une génération d’hommes de gauche qui, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, a cru pouvoir transformer le monde par un socialisme à visage humain… », p. 88.
Il sera question des autres films du cinéaste. Un parcours à travers l’Histoire, la mémoire, le souvenir du temps qui passe et avant tout, en filigrane, en lisant entre les lignes et les images, la proclamation d’une certaine idée historique de l’Europe. De tous les cinéastes importants européens, Théo Angelopoulos demeure sans aucun doute le plus fidèle à ses racines.
Mais c’est Le Voyage des comédiens, son chef-d’œuvre incontestable, qui demeure le moment inégalé, alors que le cinéaste exprime avec le plus de clarté son discours interventionniste sur les images en mouvement, leurs revendications sociales et politiques. La réalité transformée par le biais de la poésie. Comme cette image prenante de la troupe pointant le regard vers un ailleurs incertain. Comme cette Europe qui se (re)construit sans cesse. Et pour la petite Histoire, Theo Angelopoulos, francophile impénitent.
Michel Estève
Théo Angelopoulos ou la poésie du cinéma politique
(Coll. « Champs visuels »)
Paris : L’Harmattan, janvier 2021
188 pages
[ Sans ill. ]
ISBN : 978-2-3432-1357-6
Prix suggéré : 28.28 $
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