Tous des oiseaux
SCÈNE
| Élie Castiel – ★★★★★ |
MAGISTRAL
Wajdi Mouawad, maintenant la cinquantaine, est arrivé à une maturité qu’il arborait de toute façon depuis ses débuts, comme le légataire d’une idée qu’on se fait de l’art dramatique, de ce qui touche à sa morale, à sa place dans la communauté des humains. Quelque chose qui s’assimile au souffle de la vie, à l’âme de l’individu, aux êtres et, paradoxalement, au néant, autant que ce vide possède une quelconque vérité. Avec Tous des oiseaux, titre on ne peut plus tributaire de liberté, on assiste à un laboratoire humain en permanente rupture, tels des corps dont les os déplacés se remettaient à leur place à la suite du procédé thérapeutique que représente la vie.
Mouawad, le Libanais issu de la communauté chrétienne de confession maronite. Pays ennemi inconditionnel d’Israël pour les raisons que nous connaissons. Et si après tout, l’artiste arrivait finalement à se poser des questions, à cesser de blâmer un seul camp. Le constat est ici d’une puissance dramatique impressionnante, un récit d’amour interdit : il est Juif, elle est Arabe et musulmane; thème mélodramatique que le texte impitoyable et d’une force d’évocation perméable et passionné de Wajdi Mouawad arrive à équilibrer. Entre des mots qui font mal et d’autres qui tentent de réconcilier l’irréductible, un humour particulier qui non seulement atténue la gravité du propos, mais montre jusqu’à quel point la tragédie peut également être pourvue de moments d’abandon qui servent à l’oublier, non serait-ce que provisoirement.
De Tous des oiseaux, on retient surtout l’europanéité de l’œuvre, c’est-à-dire de cette tendance innée du vieux continent qui consiste à s’intéresser aux autres, à comprendre leur cultures, à essayer d’abroger les fausses idées qu’on se fait d’elles. Ici, c’est le Mouawad conciliateur, celui qui, par le truchement des mots et des émotions, croit encore au devenir. Par les temps qui courent, politiquement, il s’agit d’un exposé antipopuliste visant à dissuader les mentalités du bien-fondé du respect mutuel et de l’enrichissement réciproque.
On retiendra les conseils historiques de Natalie Zemon Davis qui apporte à l’ensemble de cette œuvre impressionniste des accents de vérité, parfois trop mis en évidence par une mise en scène alerte et maîtrisée. C’est dans le rapport au poétique que le dialogue s’invente à mesure que le récit avance. La vérité, le mensonge, la fatalité, l’impossibilité d’atteindre l’idéal dans les rapports humains. Et une fin qui pourrait non seulement désorienter les extrémistes du conflit israélo-palestinien, quel que soit le côté où l’on se place, mais qui dans le cas de Tous des oiseaux, résonne comme une ode à la liberté, arme puissante contre les effets néfastes de l’ostracisme.
Belle complicité entre tous les comédiens, épousant le comportement de leurs personnages avec un sens aigu de l’échange. Soulignons l’originalité de la partition musicale d’Eleni Karaindrou qui évoque avec nostalgie le lyrisme complexe et délicat d’une grande partie des films de Theo Angelopoulos. Car après tout, la pièce de Wajdi Mouawad arbore fièrement ses tendances cinématographiques par le biais de situations fragmentées. À noter que les sous-titres français sont astucieusement incorporés au décor.
Et une fin qui pourrait non seulement désorienter les extrémistes du conflit israélo-palestinien, quel que soit le côté où l’on se place, mais qui dans le cas de Tous les oiseaux, résonne comme une ode à la liberté, arme puissante contre les effets néfastes de l’ostracisme.
FICHE TECHNIQUE
Texte: Wajdi Mouawad.
Mise en scène: Wajdi Mouawad.
Assistance à la mise en scène: Oriane Fischer, Valérie Nègre.
Dramaturgie: Charlotte Farcet.
Décors: Emmanuel Clolus.
Costumes: Emmanuelle Thomas.
Éclairages: Éric Champoux
Musique: Eleni Karaindrou
Distribution: Jalal Altawil, Jérémie Galiana, Nelly Lawson, Victor de Oliveira, Leora Rivlin, Judith Rosmair, Daria Sheizaf, Rafael Tabor, Raphael Weinstock
Langues: Allemand, anglais, arabe, hébreu
Sous-titres: français
Durée: 4 h, (Incluant un entracte)
Représentations: Jusqu’au 27 mai 2019, Place des Arts (Théâtre Jean-Duceppe)