Ulster American
CRITIQUE.
[ SCÈNE ]
★★★★ ½
texte
Élie Castiel
40 ans de théâtre québécois et international à La Licorne. Quatre décennies de moments intenses, de textes radicaux, de voyages inespérés dans d’autres horizons, la plupart du temps sans frontières. De déménagements du théâtre en question, mais qu’importe puisque ce qui compte, c’est ce que l’on voit à l’intérieur. D’anciennes voix, de nouvelles, des femmes qui finalement affichent leur travail de metteures en scènes. Des voies, ces chemins qui se fraient un passage dans le tumultue de la société et qui surtout résiste aux intempéries subventionnaires lorsqu’elles se présentent. Et aucune rivalité avec les autres troupes montréalaises, car s’adressant à un public de plus en plus attentif qui parle la même langue, celle de la représentation théâtrale, même si dans un registre différent.
Et finalement, vaincre à sa façon la pandémie en renouant avec les metteurs en scène, les dramaturges et les artistes sur le podium de la représentation qui nous anime nos vies. Et quelle belle façon de débuter la saison 2021-2022 avec, entre autres, une proposition telle que American Ulster (titre intraduisible en français) de l’Irlandais David Ireland, nom pressenti avant sa naissance, porté par l’urgence de raconter, de prédire le meilleur et le pire et inventer des personnages hors pair.
Plus que tout, montrer sur scène des acteurs dont les rôles qu’ils ou elles incarnent explosent littéralement, passionné(es), vendant leur âme au diable pour faire valoir leurs idées, s’acharnant comme chiens et chats pour faire avancer leurs pensées, s’esclaffant à gorge déployée devant ce qu’ils ou qu’elles croient être de la bêtise. Et finalement, pour ne pas révéler la catharsis ou son contraire final, offrir aux spectateur une vision théâtralement réaliste de la vie. Ou est-ce nécessaire d’insister sur « théâtralement » ?
Jeu de massacre
Il y a d’abord la traduction de François Archambault, magnifiquement québécoise, directe, éloignée de toutes fioritures de style, s’en tenant intentionnellement à des effets chocs qui remuent, qui proposent sans doute une nouvelle façon de traduire à partir d’une autre langue dont les subtilités nous échappent, selon la teneur des propos. Archambault séduit l’ouïe tout simplement. Et la langue québécoise, dans un sens, nous prouve qu’elle possède quelque chose d’universel.
Et ensuite, une mise en scène rigoureuse, volontairement sauvage, où l’on se permet les débordements comme si les lendemains n’existaient pas. Et puis, comme ça, par instinct, offrir quelques moments de champs/contrechamps moins agressifs, détournés, d’un cynisme hallucinant mais tout aussi diaboliquement savoureux.
L’Irlande, oui. La Grande-Bretagne tout aussi bien. Chez les uns, les premiers, le cœur qui bat à une vitesse inimaginable ; chez les seconds, une présence clinique où la métaphore et le risque calculé l’emporte sur la raison.
Maxime Denommée, connu comme brillant interprète, met en scène un texte déchirant. Dans ce « huis clos à trois personnages » (sic), comme il aime nous le rappeler, la déchirure est inévitable, l’idéologie prend le dessus sur l’art, sur le théâtre. Excellente remise en question sur ce que procurent les arts en général chez les spectateurs. Ça inclut bien entendu le cinéma.
Mais du coup, sans qu’on s’y attende, Denommée, aidé par l’auteur et le traducteur de l’œuvre en question, récidive en nous suggérant que sans l’art, la vie n’est plus possible. Il est un antidote essentiel à la dépression et… à la survie.
Trois personnages en quête d’auteur, même si ce dernier existe déjà, quoiqu’en en observation. Chacun pour soi selon sa propre personnalité. Par conséquent, en rupture les uns par rapport aux autres puisque dans ce jeu de massacre non prémédité, c’est finalement le théâtre qui en sort gagnant. À voir sans retenue.
Un décor chaleureux, celui de l’appartement d’un metteur en scène, Leigh Carver, admirablement incarné par Frédéric Blanchette, maniant les différentes palettes d’interprétation avec une grâce soutenue. Il y a Ruth Davenport, dont Lauren Hartley montre le caractère ambivalent avec quelque chose qui ressemblent à de la manipulation – sa Ruth insiste à dire qu’elle est British. Et puis, Jay Conway, campé par un David Boutin époustouflant. Il sacre, il émet des propos sexistes, voire inadmissibles, affreux à entendre. Mais le comédien est plus fort que les spectateurs qui eux, même si sidérés par ses injures ou autres altercations, ne peuvent voir que le jeu, admirable.
Trois personnages en quête d’auteur, même si ce dernier existe déjà, quoiqu’en en observation. Chacun pour soi selon sa propre personnalité. Par conséquent, en rupture les uns par rapport aux autres puisque dans ce jeu de massacre non prémédité, c’est finalement le théâtre qui en sort gagnant. À voir sans retenue.
FICHE ARTISTIQUE PARTIELLE
Texte
David Ireland
Traduction
François Archambault
Mise en scène
Maxime Denommée
Assistance à la mise en scène
Ariane Lamarre
Interprètes
Frédéric Blanchette
David Boutin
Lauren Hartley
Décor
Olivier Landreville
Costumes
Estelle Charron
Éclairages
André Rioux
Musique
Éric Forget
Production
Théâtre de La Manufacture
Durée approx.
1 h 45 min
[ Sans entracte ]
Diffusion @
La Licorne
[ Grande salle ]
Jusqu’au 13 novembre 2021
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]