Vues d’Afrique 2020
ÉVÈNEMENT
[ Programmation numérique ]
texte
Élie Castiel
Pandémie oblige, Vues d’Afrique adopte cette année une approche virtuelle, étalant sa programmation du 17 au 26 avril 2020, chaque film pouvant être vu à l’intérieur d’un maximum de 48 heures, selon les jours programmés.
Magnifique cuvée que celle de 2020. Imagination, créativité, intérêt accru pour les causes sociales et une position innovatrice, quoique prudente, en faveur de l’islam laïc émerge des films provenant du Maghreb. Ces territoires nationaux changent à un vitesse de croisière extraordinaire, dirigeant certains récits de fictions ou réalités documentaires vers des sphères à la fois poétiques ou revendicatrices. Une nouvelle génération de cinéastes hommes et femmes bouleversent sans gêne les mécanismes traditionnels pour donner libre cours à leurs interrogations. Les sujets courts et moyens dominent, laissant tout de même de la place à quelques longs métrages, si peu soient-ils, pour ne pas perdre les bonnes habitudes, pour que la tradition persiste.
Afrique(s)… ou
la tentation de l’altérité
De la franco-tunisienne Manele Labidi, Un divan à Tunis / ‘Arakat fi Tunis constitue un premier long métrage qui évoque pour tout cinéphile, par son titre uniquement, Un divan à New York (1996) de Chantal Akerman. Comment dénominateur commun : la psychothérapie. Une star du cinéma indie européen, la franco-iranienne Golshifteh Farahani, toujours aussi autonome dans le geste et l’esprit. Elle quitte Paris et se retrouve à Tunis, comme ça, pour se réapproprier ses racines et… ouvrir un petit cabinet de psychanalyse. Endroit peu rêvé qui conduit un nombre incroyable de patients (femmes et, oui, autant d’hommes). Comme quoi les mythes normalement associés à la nouvelle Tunisie (il faudrait ajouter l’Algérie et le Maroc) s’avèrent vraiment des affabulations, tant ces pays ont atteint un niveau d’occidentalisation et par là-même (grâce ou à cause d’Internet et des réseaux sociaux) commencent à saisir les enjeux psychologiques qui les tenaillent – chose impensable il y a quelques décennies. Mais Labidi prend le soin de montrer ces enjeux sociaux selon l’approche passe-partout de la comédie. Il y a même un personnage homosexuel (dommage pour la légère caricature) qui se trouve parmi cette horde de citadins, pour une fois, profitant de la présence de la belle psychologue, pour étaler leurs angoisses… et comme tout récit qui se respecte, s’en sortir.
Coproduction entre la France, la Tunisie et le Rwanda, Notre-Dame du Nil vaut surtout le détour pour la participation des quelques jeunes comédiennes (sans doute non professionnelles) qui s’en donnent à coeur joie (sans vraiment jouer) dans cet amalgame de jeux variant entre la jalousie, l’identité sexuelle et les querelles politiques (la rivalité entre Tutsi et Hutu – avec les conséquences que tout le monde connaît). Mais l’Afghan Atiq Rahimi, dont on a pu admiré en 2004 son beau film Earth and Ashes / Khakestar-o-Khakh, ne saisit pas tout à fait les fils de sa pensée, oscillant entre le drame à huis-clos et le discours politique ou plus encore, annonciateur. On retiendra la magnifique direction photo de Thierry Arbogast (Anna de Luc Besson, entre autres) qui rend justice à la majesté visuelle du roman de la rwandaise Scholastique Mukasonga, dont le film de Rahimi est une adaptation.
L’Égypte est au rendez-vous, avec deux courts métrages, l’excellent Eyebrows (Alhajibin) de Tamer Ashri, où un non-récit fascinant devient un discours intellectuel et novateur sur la condition féminine au Moyen-Orient. Le champ-contre champ est ici dans sa forme la plus originale et abouti en quelque chose de discursivement aussi foudroyant qu’essentiel. Également, Habib de Shady Fouad, l’histoire d’un coiffeur plutôt pingre, mais totalement adorable qui sait comment profiter des choses de la vie et avouer l’amour qu’il a envers sa femme de façon originale, pour lui faire plaisir, sans dépenser un seul sous. Mise en scène classique, profitant d’un humour moyen-oriental, sans failles. Par les temps qui courent, sa savoure comme un bonbon qu’on ne tient pas à finir.
Le Marocain Mohamed Rida Gueznai (également directeur photo) propose un essai intime sur l’isolement d’un homme aux sources de la nature, soit la montagnes, ou mieux encore les montagnes d’un Maroc filmé avec les élans du cœur. Dans le beau poème Le vieil homme et la montagne (Alrajul aleajiz wa’ljabal) Le personnage de Mostafa (bien saisi par la performance de Mostafa Zaoui – un genre de George Moustaki maghrébin) rend ce voyage identitaire dans l’âme du mâle marocain, l’absent muet qui a besoin de l’extérieur pour comprendre les fondements de sa propre vie. La femme, elle, attend sous les traits d’une Fatima Assad (sans prénom dans le film) qui regarde par la fenêtre en attendant le retour du mari. Avec un sens incomparable de l’économie narrative, le cinéaste surprend par son discours sur les rapports hommes-femmes et nous laissent un goût de bonheur partagé, au même temps que de mélancolie face à la finitude.
Et puis, encore un long métrage, cette fois-ci marocain; récit d’une incroyable puissance dramatique, Myopia / Qasr Alnazar, mené admirablement par le personnage de Fatem (Sana Akroud, également réalisatrice du film, établie aujourd’hui au Québec). Aucun moment inutile, d’une rigueur visuelle étonnante, et plus que tout, dans la deuxième partie du film, particulièrement celle se passant dans une ville de Casablanca tentaculaire, mais toujours aussi blanche, on assiste à une prise de conscience indicible de la présence juive doublement millénaire dans ce pays. Sans rien montrer, par instinct, sans aucun discours politisant, tout en nuances, remettant les pendules à l’heure. Dommage que la cinéaste n’ait pas été assez loin sur cette question. Et Akroud, la comédienne, simplement impériale. Puis, ce Maroc des oubliés, des perdants, des illettrés des montagnes que seules cette révolte de jeunes dans les rues de la capitale économique du royaume et la présence des journalistes peuvent, ne serait-ce qu’à petit pas, peuvent parvenir à les affranchir. La séquence où Fatem allume quelques bougies dans une synagogue aussi abandonnée que défraîchi où elle élu domicile dans ce village isolé des montagnes demeurent la plus bouleversante, montrant jusqu’à quel point le Maroc a toujours été, à travers les siècles, une terre d’accueil pour les délaissés et les exilés.
Finalement, Ils n’ont pas choisi, du Burkina Faso. Enquête à la fois essentielle et inquiétante sur un continent où l’homophobie galopante liée aux préceptes des trois religions monothéistes, le christianisme, le judaïsme et l’islam est scrutée à la loupe. Et dans cette foule de millions d’habitants, quelques hommes et femmes (et pas nécessairement homosexuels) œuvrent pour les droits humains, pour que les choses changent. En revanche, ce qui est étonnant et que le film n’ose pas dire, c’est bel et bien que l’homosexualité masculine est très présente dans les pays africains, y compris l’Afrique du Nord. Pour la plupart, encore un péché, une pratique importée d’Occident. Les chefs religieux se prononcent, les associations sportives aussi, les avocats. Autant de personnages dont les paradoxes illustrent ceux d’une Afrique en proie à ses démons. En Afrique, en matière de pratiques homosexuelles entre adultes consentants… il faut se débrouiller pour ne pas se laisser prendre même si le plaisir de la chair dit « interdit » demeure omniprésent. Le film de Youlouk Damiba et Gideon Vink n’illustre peut-être pas cette particularité, mais le constat est évident. L’Afrique est une terre sexuelle, mais fermée, pas prête à défier la loi des Hommes.
Pour info.
https://www.vuesdafrique.org/