Vues d’Afrique 2022
ÉVÉNEMENT.
[ Présentiel & En ligne]
texte
Luc Chaput
Visions
d’un monde
en mutation
Une comédienne interroge des membres de sa famille pour comprendre pourquoi tant de femmes haïtiennes ont été considérées comme folles. Certaines langues prennent du temps à se délier mais un lien apparaît entre la montée des églises évangélistes qui mettent tant l’emphase sur l’emprise du diable et leur combat avec la religion vaudou. Gessica Généus dresse donc un constat complexe dans ce documentaire de 2017, Le jour se lèvera (Douvan jou ka leve) qui garde après toutes ses années une grande pertinence.
Après un portrait très fouillé d’un éminent poète, Anthony Phelps à la frontière du texte présenté en 2020, le réalisateur Arnold Antonin rencontre son compatriote le peintre dit naïf Levoy Exil pour une longue entrevue filmée à l’extérieur, chez l’artiste. Les questions d’Antonin ouvrent la voie à Exil pour raconter sa longue vie de travail qui l’a amené à trouver une façon originale de peindre et d’être reconnu ainsi que son groupe Saint Soleil par André Malraux en 1975 comme un explorateur de nouveaux mondes picturaux. L’entreprise d’Antonin, Le roi Exil et sa cour ou la béatitude au bout du pinceau constitue une belle introduction à cette œuvre prolifique d’un homme encore vert dans son âge avancé.
Le cinéaste belge Thierry Michel continue dans son Empire du silence son réquisitoire contre l’inaction de la communauté internationale face aux massacres qui durent depuis plus de vingt-cinq ans. Des conflits dans l’Est de la République démocratique du Congo perdurent pour la possession des richesses innombrables du sol et du sous-sol de ce pays si bien fourni pourtant dont la plupart des habitants sont si pauvres. De nombreuses images effrayantes réapparaissent dans ce long métrage qui devient le bilan de toute une vie de lutte d’un réalisateur pour la dignité de ses semblables.
Corne de l’Afrique; un homme travaille comme fossoyeur et manœuvre lorsque la mort ne s’annonce pas dans sa grande ville de Djibouti. Dans La femme du fossoyeur (Guled & Nasra), le réalisateur finno-somalien Khadar Ayderus Ahmed, par petites touches, rend perceptible l’amour entre Guled et son épouse Nasra qui a besoin de soins de plus en plus constants. Les incompréhensions entre les parents et leur adolescent Mahad permettent d’ouvrir d’autres perspectives sur les aléas d’existences urbaines dans ces lieux où bidonvilles côtoient de luxueuses propriétés. Une longue marche entreprise par le fossoyeur pour récupérer des biens le confronte à d’autres manières de vivre dans un milieu agraire.
Le film, Zinder. Au Niger, dans le quartier de Kara-Kara de Zinder, existent des organisations à tendances criminelles appelées palais. Hitler est le nom d’un de ces centres. Le nom fait sursauter surtout avec l’utilisation de la svastika comme emblème. Les fausses informations ou les vraies mal transmises et comprises ont amené ces hommes à prendre ce surnom pour leur club et centre de musculature. L’interprétation de la plupart des acteurs est de haut niveau et rajoute un supplément d’âme à cette fiction fortement ancrée dans le réel, fruit d’une coproduction européenne. La réalisatrice Aïcha Macky, née dans un quartier riche de cette ville, essaie de comprendre ce qui sépare ce lieu de petits boulots et d’emplois précaires du sien. Des trajets vers la frontière nigériane proche illustrent l’importance du trafic du pétrole qui irrigue d’une autre manière cette économie.
Pas si loin de Zinder, dans la région de Tahoua dans ce Sahel où les changements climatiques ont des effets majeurs sur la chaleur et les précipitations, un petit village Tatiste survit autour d’une école qui menace ruine mais animée avec ferveur par un instituteur. Pendant un an, au rythme des saisons, la caméra documentaire d’Aïssa Maïga se joint au quotidien de ces femmes et hommes obligés de quitter le village pour amener ailleurs leurs troupeaux ou trouver des emplois rémunérateurs dans des grandes agglomérations. Autour d’adolescentes comme Houlaye, la vie continue car celles-ci ont maintenant la charge de s’occuper des plus jeunes et de leur donner une marche à suivre. Marcher sur l’eau prend tout d’abord son sens avec l’arrivée d’une pluie torrentielle puis de l’équipe de forage tant attendue qui creuse un puits profond vers la nappe phréatique. La cinématographie lumineuse, proche de ses protagonistes, accompagne ces gens trop souvent laissés sur le bas-côté de la route dans le brouhaha déferlant des nouvelles.