Vues d’Afrique 2023.
I

ÉVÈNEMENT.
[ Festival ]

texte
Élie Castiel

Sur

trois

longs

métrages

maghrébins

 

Deux regards d’hommes, celui de Driss Mrini (Maroc) et de Youssef Chebbi (Tunisie). Une femme derrière la caméra, l’Algérienne Mounia Meddour. Et pourtant, un dénominateur commun aux trois cinéastes : la prise de conscience d’un cinéma maghrébin qui dévoile de plus en plus son savoir-faire, sa notoriété territoriale, son expertise et surtout, une liberté de ton qui, en dépit de quelques interdits pour l’instant, inaudibles, laisse jaillir, par-ci, par-là, quelques bribes de métaphores bien installées dans leurs fictions, et qu’il faut savoir lire entre les lignes.

Des personnages hors du commun, des exemples à suivre pour les spectateurs. Film-miroir dans chacun des cas; portrait de chacun des pays en proie aux bouleversements politiques ou sociaux, selon le cas. Et toujours, le cinéma, sur Grand Écran, comme arme de ralliement, de conscience de soi et des autres. Tout bien considéré : un Maghreb en pleine évolution qui, justement, change comme le reste du monde, mais, étonnamment, tributaire de cette obsession salutaire et bienvenue de la tradition. Les cinémas algérien, marocain et tunisien sont-ils désormais les nouveaux remparts de la dynamique sociale.

Houria.
Tenir bon à ses convictions.

De Meddour, Houria (qui veut dire, apparemment, « nymphe »). C’est le prénom du personnage principal. Femme de ménage le jour, participe la nuit à des paris clandestins. Elle est également danseuse de talent, de danse moderne. Étrange accumulation de récits narratifs qui font du film une proposition dense, fière d’avoir recours à différents codes de la représentation. Mounia Meddour connaît ses limites et si, par un concours du « destin cinématographique », elle permet au directeur photo Léo Lefèvre de filmer le sensuel sans frontières, avec un certain goût de l’érotique et non pas du sensationnel, c’est avant tout pour ces tours de passe-passe de la notion de nuance. Tout est dans le geste et le mouvement, et dans ces croisements entre la chair et l’esprit,  la comédienne Lyna Koudhri, de plus en plus présente, participe de ce nouvel essor de la femme issue de l’immigration. Dans le film en question, l’Algérienne n’a d’ordre à recevoir de personne dans les affaires de son identité autant géographique, physique que spirituelle.

Ashkal.
L’architecture des lieux.

Et les hommes dans tout ça? De Tunisie, Youssef Chebbi signe un premier long métrage d’une maîtrise narrative étonnante. Le rythme, le ton, l’atmosphère, la non-linéarité, le recours à une cinéphilie souveraine. Et pourtant, tout en frôlant subtilement un Jean-Pierre Melville pour sa sagesse à décloisonner le récit tout en en le distanciant, il conserve néanmoins son appartenance géographique, son identité d’une Afrique en pleine expansion, le rapport compliqué au corps individuel et social, autant de paramètres qui se traduisent par des signes que sont le tempérament, la vision du monde d’un Occident vu comme prisonnier d’une culpabilité coloniale et le déni d’une époque révolue. Ces signes ne sont pas tout à fait évidents dans Ashkal, qui veut dire formes, apparences, figures de style. C’est tout cela à la fois, sorte de mise en abyme autant du cinéma que de la création. Un miroir à la fois frontal et intentionnellement déformant. Dorénavant, Youssef Chebbi fait partie des grands, surtout lorsqu’il filme l’architecture des lieux qui se transforment à partir de terrains vagues, le plus souvent remplis de pierrailles et de non-lieux. Quant au récit, un suspense haletant, une enquête inhabituelle.

Le mont Moussa.
Conserver l’humanisme des sentiments.

Et puis, du Maroc, Le mont Moussa (Jabal Moussa), l’une des plus belles surprises de ce cinéma national des dernières années. Tout d’abord par le choix des personnages principaux, des intellectuels, des lecteurs de livres de grands auteurs. Un lien tout d’abord compliqué, pour ensuite le déclenchement d’une amitié virile (dans le bon sens du terme) intellectuellement assumé. Et le lieu de tous ces joutes psychologiques, loin de la ville, dans un coin perdu près d’une montagne. Étrange paysage où le temps ne semble pas s’être arrêté. Un récit un peu compliqué sur les origines, sur l’amour, sur la dépendance et le mensonge, non pas par mesquinerie, mais pour atteindre un but aussi noble que calculé. Des interprètes totalement investis et d’une cinégénie triomphante. Driss Mrini détourne les codes stricts de la narration traditionnelle tout en évoluant dans une atmosphère où l’esprit semble plus important que le physique. Les quelques recours au mélodrame sont très vite estampés par le soutien de l’émotion interne, bien que pas si intense, et à la symbolique de cet endroit du monde. Le dernier poème demeure une réconciliation entre l’Islam et la judaïsme d’une beauté partagée rarement atteinte.

Trois films représentant les trois pays maghrébins. Ils partagent avec bonheur et particulièrement sincérité cette devise selon laquelle le cinéma explore l’âme et le monde pour mieux saisir ses maladresses tout en essayant de les apprivoiser.

Vues d’Afrique
Du 20 au 30 avril 2023