Yves Boisset
< 1939-2025 >
un Hommage
de Pascal Grenier
Le cinéma
comme
une brûlure
Il y a dans le cinéma d’Yves Boisset une colère, une urgence, une nécessité qui le placent d’emblée dans la lignée des grands auteurs engagés. Fils spirituel du néoréalisme italien et héritier des fièvres transalpines, Boisset n’a pas seulement appris le métier aux côtés de De Sica, Leone et surtout Riccardo Freda, il en a tiré une manière de filmer la réalité avec une crudité stylisée, un sens du spectacle qui ne sacrifie jamais la pensée. Un pied dans le film populaire, l’autre dans le brûlot social : Boisset a toujours voulu parler au plus grand nombre tout en cognant là où ça fait mal.
Après un film de commande, Boisset est particulièrement actif en début de carrière. Il se distingue avec Cran d’arrêt en 1970. Un très bon suspense qui flirte avec le giallo avec une structure narrative fort intéressante. Et il y a une superbe poursuite automobile, la présence du toujours solide Bruno Cremer et la ville de Milan, admirablement filmé.
Dans Un condé, ici c’est Michel Bouquet, d’une autorité impériale et d’une froideur implacable, qui incarne ce flic qui perd la boule et veut venger la mort de son coéquipier. Film controversé qui a eu maille à partir avec la censure en 1970 (une scène de torture par la police a d’ailleurs été amputée). C’est un grand film policier assez austère, mais sec et violent où le climat social est évoqué avec rigueur. Bref, ce n’est pas qu’un simple film de justicier (peu à la mode à cette période) parmi tant d’autres. On sent l’influence de Melville plus que celle du poliziottesco (même s’il y a Gianni Garko et Adolfo Celi dans des rôles importants) et on assiste chez lui à la naissance d’un grand cinéaste engagé.
S’ensuit Le saut de l’Ange, où la fièvre italienne de Freda et Leone transpire dans chaque plan, et tant d’autres œuvres où il traque les zones d’ombre du pouvoir, comme L’attentat où Boisset fait du Costa-Gavras dans un thriller politique sous haute tension avec un distribution cinq étoiles et où est mise à nue les compromissions et la laideur d’une société qui préfère détourner les yeux sont mises à nue.

Dupont Lajoie
Son chef-d’œuvre, Dupont Lajoie, est à ce titre une leçon de cinéma et de sociologie. En posant sa caméra dans un camping français pour raconter la montée du racisme ordinaire et la violence collective, Boisset livre un film-choc où chaque scène claque comme une gifle. Le casting est au diapason : Jean Carmet en Français moyen qui bascule dans l’horreur, Jean Bouise en patron de bistrot complice, et les dialogues au vitriol signés Michel Audiard qui transforment cette histoire de ratonnade en un miroir implacable d’une France rance. Un film qui, encore aujourd’hui, fait froid dans le dos.
Mais Boisset ne s’arrête pas là. Il enchaîne avec Le Juge Fayard dit le Shérif avec l’excellent Patrick Dewaere dans ce polar fiévreux qui commence comme un film d’enquête qui glisse vers le film de casse avant de s’achever en pamphlet contre les connivences politico-judiciaires.
Bien avant The Running Man, de Paul Michael Glaser, Le prix du danger anticipe la télé-réalité comme arène de la mort et prouve que Boisset a toujours eu une longueur d’avance en ce qui a trait à la critique sociale. Canicule, avec un Lee Marvin mutique plongé dans une Beauce poisseuse où les marginaux suent la cruauté, est un grand film noir déglingué, où la violence explose comme un coup de fusil en pleine moisson.
Triste ironie : Boisset, le cinéaste du combat, s’est vu peu à peu écarté du paysage cinématographique à partir des années 1990. Trop dérangeant, trop entier…mais malgré sa disparition, son cinéma, lui, reste là, intact, brûlant, prêt à éclater comme une grenade dégoupillée.