37e Festival international de cinéma Vues d’Afrique
ÉVÈNEMENT
[ Cinéma ]
texte
Luc Chaput
Une jeune femme visite ses grands-parents dans une ville industrielle du centre de la France. Elle filme Mabrouk à une exposition dans le musée de la Coutellerie. Son grand-père, hier ouvrier en ces lieux, est laconique dans ses réponses. Elle interviewe donc son père, l’acteur Zinedine Soualem (L’Ange de goudron) sur son enfance à Thiers. Dans plusieurs des documentaires captivants présentés dans ce festival montréalais, de nouveau, en ligne gratuitement, partout au Canada, les liens personnels entre cinéastes et protagonistes servaient de passage de témoins entre eux pour reconfigurer la grande ou la petite histoire.
Des histoires personnelles
Leur Algérie est un film nécessaire pour Lina Soualem à cause de l’âge avancé de ses grands-parents paternels. Par petites touches, partant d’un logement qui se vide et de deux autres qui se remplissent, elle reconstitue l’histoire de sa famille en lien avec cette idée du retour au pays natal de ces travailleurs immigrés dans les premières années des Trente glorieuses. Elle accomplit même ce périple dans l’arrière-pays de Sétif pour mieux saisir cette part d’elle-même. La cinématographie oscille entre des captations d’écran d’ordinateur, des plans assez serrés de certains interlocuteurs et d’autres plus larges qui embrassent les sujets et leurs environnements.
Le massacre de Sétif en mai 1945 est aussi évoqué par une grande murale en Algérie et à Marseille par un des interviewés franco-algériens dans Ne nous racontez plus d’histoires! des cinéastes Carole Filiu et Ferhat Mouhali. Ce couple, en donnant la parole à certains de leurs proches et d’autres témoins, réussit à nous faire partager certains moments phares ou plus personnels de l’histoire commune entre l’Algérie et la France, s’étalant depuis maintenant près de deux siècles. Les points de convergence et d’entente sont soulignés en recadrant certains épisodes que les manuels scolaires ou autres livres plus officiels ont éludés. La démarche, pleine de bonne volonté, revisite ainsi des expériences douloureuses et pourrait servir d’introduction à une connaissance plus approfondie de ces thèmes.
À Paris, un vieil intellectuel tunisien répond aux questions d’un réalisateur ami de son fils Slim. Ce dernier est dramaturge et vit à Bruxelles et intervient fréquemment dans ce rappel de l’histoire du Maghreb, de la décolonisation et des partis communistes et de leurs fractures idéologiques. L’ensemble de l’opération est porté par ce dialogue à quatre voix puisque Azza Ghanmi, l’épouse de Gilbert Nakache (épelé aussi Naccache) y met aussi son grain de sel. La vitalité du protagoniste décédé depuis et l’habile intégration d’images d’archives colorent toute l’entreprise d’Akram Adouani dont le titre Papi qu’as-tu fait de ta jeunesse?, vibrant moyen métrage, est un hommage à un livre célèbre de ce militant des droits de l’homme.
C’est en… donnant des pistes de solutions ou des réponses au moins partielles que ces documentaires et bien d’autres comme le moyen métrage Voici un fils… Yao Assogba, de Kodjo Gonçalvès, ont permis à cette nouvelle édition de Vues d’Afrique de continuer d’être un lieu d’échanges.
Au Louvre, dans le Pavillon des Cessions, une grande statue en métal attire le regard des spectateurs comme hier, dans un autre musée parisien, celui de Guillaume Apollinaire, auteur en 1912 d’un article sur sa beauté. Ce dieu Gou, Vulcain et Mars dans la mythologie du royaume du Dahomey, a été saisi puis transféré en France à l’occasion de l’invasion de ce territoire et la constitution d’une administration coloniale. À partir de ce cas, le réalisateur Laurent Védrine, dans Dieu Gou, retour d’une statue aussi intitulé Restituer l’art africain : les fantômes de la colonisation, remonte le fil de l’histoire par le biais de nombreuses archives écrites, cinématographiques et photographiques pour établir un dossier de la restitution de ces œuvres d’art capturées naguère. De nombreux historiens d’art français et africains nous guident à travers ce dédale juridico-artistique dans lequel le moyen métrage Les Statues meurent aussi de Resnais et Marker dialoguent avec Black Panther de Ryan Coogler.
L’écrivaine canadienne Cheryl Foggo s’intéresse à l’histoire de l’Ouest canadien depuis de nombreuses années. Elle en a même écrit une pièce John Ware Reimagined, dont sa fille Miranda Martini a rédigé et composé les chansons. Ce travail de longue haleine est donc devenu un long métrage John Ware Reclaimed (Sur les traces de John Ware),où la réalisatrice s’implique directement à l’écran. Ses recherches d’archives ou archéologiques et ses rencontres avec des historiens l’aident à mieux cerner la vie et l’œuvre de ce pionnier de l’Alberta dont le nom orne plusieurs lieux. Cette quête personnelle de l’auteure s’inscrit bien entendu dans celle nord-américaine qui avance l’hypothèse qu’un quart des collègues de Ware aux États-Unis auraient été noirs et que plusieurs de leurs figures emblématiques seraient devenus blancs lors de leurs passages dans le système de production cinématographique.
C’est en soulevant ces questions et en leur donnant des pistes de solutions ou des réponses au moins partielles que ces documentaires et bien d’autres comme le moyen métrage Voici un fils… Yao Assogba, de Kodjo Gonçalvès, ont permis à cette nouvelle édition de Vues d’Afrique de continuer d’être un lieu d’échanges.