39e Festival international du film sur l’art

ÉVÈNEMENT
[ Manifestation en ligne ]

texte
Luc Chaput

Une ouvrière dans une usine présente à ses collègues, des extraits d’une pièce dans laquelle elle interprète le rôle principal, en compagnie d’autres femmes de son village natal dans une tournée dans diverses régions de la Turquie. C’est par la présentation de divers ailleurs que s’est déroulé, il y a peu et complètement en ligne partout au Canada, le 39e Festival des films sur l’art de Montréal.

Des ailleurs

Beijing Spring

En Chine, après la Révolution culturelle des années 60 et ses millions de victimes, une certaine ouverture s’est produite tant sur le plan économique que sur le plan artistique. C’est à la découverte de cette époque que les réalisateurs américains Andy Cohen et Gaylen Ross nous convient dans Beijing Spring. À côté d’images souvent présentées dans des émissions d’information sur Mao, la Bande des Quatre, les funérailles de Chou en Lai et du Grand Timonier, les réalisateurs nous plongent dans l’effervescence du milieu culturel de la capitale de l’Empire du Milieu. Une exposition extérieure dans une rue contiguë d’un grand musée où les œuvres sont accrochées aux montants de la clôture entourant cet édifice constitue le point central du long métrage, ne serait-ce que par le film qui y a été alors clandestinement tourné et qui permet de comprendre le travail du groupe des Étoiles que ces travailleurs culturels s’étaient donné comme surnom en opposition à Mao, le Soleil. Le montage d’Andrew Ford navigue entre les murs des dazibaos, les peintures et sculptures de cette époque pour soutenir les témoignages de certains participants maintenant pour la plupart exilés et d’universitaires qui rajoutent des pièces au dossier. Montré en ouverture, ce long métrage méritait pour la qualité de sa réalisation et l’ampleur de ses découvertes le Prix du jury qui lui a été attribué.

The Vasulka Effect

Une Islandaise se rend à Prague pour y continuer ses études musicales au conservatoire. Elle y rencontre un ingénieur tchèque qui étudie à la fameuse école de cinéma. Steina Briem Bjarnadottir et Bohuslav Vašulka, surnommé Woody, se rencontrent, s’épousent et s’aiment depuis les années 60. Immigrants à New York, ils participent à l’invention de la vidéo d’art et créent The Kitchen, le lieu de concoction artistique contemporaine le plus important de cette ère. La réalisatrice Hrafnhildur Gunnarsdottir les visite à leur domicile au Nouveau-Mexique et les accompagne dans des retours aux sources ou lors d’hommages dans divers organismes culturels qui pour la plupart reconnaissent maintenant l’originalité et l’impact de leurs œuvres et travaux dans la floraison de cette pratique artistique moderne qu’est la vidéo. Une abondance d’archives bien intégrées et un accès privilégié bien employé ont permis à The Vasulka Effect de gagner le Prix du meilleur « portrait » et il est agréable de voir Steina encore alerte et heureuse devant toutes ces célébrations.

Fellini fine mai

Un réalisateur secondaire italien Eugenio Cappuccio dans Fellini fine mai (qui, en français se traduit par Fellini ne finit jamais ou encore Fellini pour toujours) revisite les liens professionnels et amicaux qu’il entretenait avec Federico Fellini et certains membres de sa garde rapprochée et de sa famille. Le résultat de ce film présenté dans le cadre du 100e anniversaire du Maestro est très vallonné, les redites sur sa vie y étant plus nombreuses que les révélations. Celles-ci montrent Federico désarçonné par les événements bizarres durant son voyage vers Tulum et amené à clore ce projet dans lequel il avait perdu le contrôle même de son imagination.

Yves Jeulard réussit quant à lui son long portrait-hommage à Charles Chaplin en montrant tout d’abord l’importance de la pantomime dans son parcours artistique. Cet art, qui le relie au travail d’acteurs de vaudeville de ses parents, lui permet d’employer sa grande agilité, de créer le personnage iconique de Charlot et de continuer à faire rire et émouvoir les foules même après l’arrivée du parlant.  Son implication socio-politique, plus évidente dans Modern Times (Les temps modernes) et The Great Dictator (Le dictateur) court tout au long de ce grand corpus comme le montrent si judicieusement les extraits filmiques et textuels choisis qui constituent le docte exposé ludique qu’est Charles Chaplin, le génie de la liberté.

Par la diversité de ses propositions filmiques et vidéo et par son maillage avec divers organismes, l’organisation du FIFA a donc su relever encore une fois les aléas d’une présentation en ligne et cela augure donc très bien pour un 40e florissant.

En 2006, une jeune cinéaste présente au festival d’Istanbul Oyun (The Play), portrait d’un groupe de femmes du village d’Arslankoy, en Turquie, qui font du théâtre. Queen Lear (Kraliçe Lear) de la même Pelin Esmer retrouve ces mêmes interprètes qui font maintenant partie d’une troupe ambulante. Un car et un camion technique sillonnent monts et vallées de la Turquie pour jouer habituellement à l’extérieur une version courte du Roi Lear de Shakespeare, dans le cadre d’une soirée durant laquelle le film antérieur est montré. Pour ses pérégrinations entre théâtre antique près de la mer, village forestier et plateaux où des troupeaux paissent, pour ses interactions entre les actrices et les échanges entre celles-ci et leur public potentiel lors de leurs démarchages pendant la journée avant la représentation et pour le talent montré dans les extraits, ce long métrage méritait amplement le Grand prix du festival. L’an dernier, un autre film sur des femmes et une pièce du théâtre classique We Are Not Princesses de Bridgette Auger et Itab Azzam avait remporté le même honneur. Par la diversité de ses propositions filmiques et vidéo et par son maillage avec divers organismes, l’organisation du FIFA a donc su relever encore une fois les aléas d’une présentation en ligne et cela augure donc très bien pour un 40e florissant.

Queen Lear