48e Festival du nouveau cinéma de Montréal

ÉVÉNEMENT
Luc Chaput

CUVÉE 2019

Dans cette première année complète de la nouvelle direction à la programmation, le festival est apparu encore plus comme une rampe de lancement régionale d’oeuvres déjà présentés dans d’autres festivals majeurs et attendus par des cinéphiles. L’importance donnée aux rétrospectives d’œuvres de femmes ou jetant un regard sur la crise environnementale a fait qu’une bonne partie de l’offre totale de longs métrages pouvait avoir été déjà visionnée par certains cinéphiles.

Adults in the Room

Parmi les films attendus, Adults in the Room de Costa-Gavras rend plus intelligible l’importance des conversations, tractations et renversement d’alliances qui se conjuguent parmi les dirigeants politico-économiques de la planète. Certains dirigeants font un petit tour dans ce film puis s’en vont alors que d’autres pèsent de tout leur poids idéologique et financier en vue d’une solution qu’ils avaient envisagée bien avant le début des négociations. En plus de la danse finale qui fait écho aux divers ballets diplomatiques, le gros poisson hameçonné qui se débat frénétiquement restera comme une image forte de l’incapacité des Hellènes de se sortir des rets de cette politique néolibérale si dure à leur endroit.

Wang Xiaoshuai aurait dû remporter l’Ours d’or au dernier festival de Berlin pour So Long My Son (Dì jiǔ tiān cháng), chronique familiale d’une trentaine d’années à l’aune de l’enfant unique et des bouleversements économiques. Les retours en arrière insérés dans quelques épisodes ont dérouté certains et une sortie en salle devrait inclure plus de dates à l’écran pour signaler les décisions de Deng Xiaoping qui affectent de manière si directe la vie des travailleurs. Les affres et les joies qui jalonnent les existences de ces personnages se reflètent dans les démarches, expressions faciales et vocales des deux acteurs principaux Wang Jingchun et Yong Mei, qui ont évidemment remporté les prix d’interprétation qui leur furent attribués en lieu et place du Grand prix qui alla plutôt à Synonymes (Milim Nirdafot) de Nadav Lapid.

A Hidden Life de Terrence Malick n’a rien apporté de plus comme prix à Cannes si ce n’est du Prix œcuménique au récipiendaire de la Palme d’or 2011 pour le sublime Tree of Life . Il y a déjà plus de quarante ans, Days of Heaven faisait voir l’établissement de la grande agriculture industrielle dans les plaines de l’Ouest américain dans une ample fresque magnifiquement photographiée par Nestor Almendros et interprétée avec grand art par Richard Gere et Linda Manz entre autres.

A Hidden Life

Ici, c’est la vie d’agriculteurs dans une région alpestre autrichienne avec ses travaux et les jours qui sert de fond de scène à le parcours d’un homme qui a dit non à Hitler, né d’ailleurs dans la même région. La qualité littéraire des lettres échangées par les deux époux permet à Malick d’intégrer plus facilement sa chère narration hors-champ aux longs travellings transcendantaux louant la nature que dans certaines de ses œuvres plus récentes. L’agriculteur Franz Jägerstätter, conscrit puis objecteur de conscience, avance à pas lents par des chemins détournés vers son destin final. Le cinéaste, par le biais des échanges épistolaires, accorde une place quasi égale aux vicissitudes de son épouse Franziska, qui restée dans leur village avec leurs trois jeunes enfants y est méprisée, rarement aidée et subit avec une égale grandeur d’âme un calvaire différent de son époux. Le réalisateur, après les dorures baroques d’un palais épiscopal où les autorités accordent au croyant une écoute attentive, rend plus tard hommage à l’Angélus de Millet quand les fermiers aux champs réagissent aux sons de cloche qu’un villageois déclenche pour annoncer la mort de cet homme voisin alors quasi anonyme pour le plus grand nombre et maintenant célébré pour sa pacifique détermination.

Alors qu’ Adults in the Room se déroule surtout dans des officines ministérielles et des palaces, Song without a Name (Canción sin nombre), premier long métrage de la Péruvienne Melina León, nous captive par cette enquête journalistique sur le commerce illégal de bébés à l’intérieur de ce pays de l’Amérique latine et hors-frontières. La photographie noir et blanc d’Inti Briones oppose verticalités frontales de la métropole=capitale Lima aux angles plus étonnants de l’existence dans les favelas ensablées. Certains plans évoquent même The Wind de Victor Sjöström par les volutes de vapeur ou de fumée mues par le vent dans de fortes obliques . Ce long métrage s’est entre autres justement mérité le prix décerné par mes collègues de la FIPRESCI.

Beanpole

Un film russe venant de Saint-Pétersbourg, où déjà du temps de Leningrad, le cinéma d’art et d’essai soviétique florissait avec entre autres Alexandre Sokurov (L’Arche russe), a remporté la Louve d’o .Beanpole de Kantemir Balagov table de prime abord sur une opposition physique et de caractères entre deux amies, l’échalas Ida qui donne son titre original au film et sa consœur, la courte, plus jolie et plus débrouillarde Masha. Les deux se retrouvent employées dans le même hôpital militaire de cette métropole de la Baltique. Le jeune cinéaste, pour son deuxième long métrage, adaptant l’essai documentaire La guerre n’a pas un visage de femme du prix Nobel 2015 Svetlana Alexievich, conduit le spectateur dans des rues ou des appartements communautaires où les ruines ne sont pas évidentes alors que la cité a subi il y a peu un siège meurtrier de 900 jours. S’y meuvent des êtres lézardés par les combats de la Grande Guerre patriotique qu’ils soient médecins, anciens combattants, infirmières ou même membres de la nomenklatura. L’interprétation modulée et finement accordée entre les deux actrices Viktoria Miroshnichenko et Vasilisa Perelygina dans les deux rôles principaux rend prenants ces choix cornéliens devant la souffrance omniprésente et la nouvelle vie espérée. Cette Louve confirmait donc le prix de la mise en scène décerné dans une section officielle à Cannes.

Dans les hommages, au lieu d’À mort l’arbitre pour Jean-Pierre Mocky, La Grande lessive avec un Bourvil impérial en professeur, aurait eu plus de mise dans ces temps d’offres pléthoriques de contenus divers par de nouveaux joueurs sur les Internets. Voilà quelques-uns des longs métrages de cette cuvée 2019. Nus reviendrons sur d’autres lors de leurs sorties en salle. Nous l’avons d’ailleurs déjà fait pour Parasite et Jojo Rabbit.

Canción si nombre