49e Festival du nouveau cinéma [05]
MANIFESTATION
Autre regard
sur les longs métrages
un texte de
Luc Chaput
Deux serveuses dans une cantine d’un centre scientifique secret en URSS terminent leur journée de travail. Natasha, la plus vieille, ordonne à son assistante de nettoyer l’aire de restauration.Olga se rebiffe et les deux en viennent finalement aux coups dans ce lieu peu éclairé et très peu décoré. En prenant une serveuse comme personnage principal de cet épisode d’une longue série sur le monde scientifique, le réalisateur Ilya Khrzhanovsky y montrera un peu plus tard jusqu’où l’emprise des polices pas toujours secrètes s’exerçait par divers moyens en Union soviétique. Cette série commencée en 2006, intitulée DAU du surnom du Prix Nobel Lev Landau (1908-1968) est une entreprise gargantuesque avec une pléthore d’acteurs, la plupart non professionnels, placés dans des conditions de vie similaires à celles connues par des habitants de ces bourgades hypersécurisées. La production aurait accumulé plus de sept cents heures de prises de vue lors de son tournage. L’épisode DAU. Natasha co-réalisé par le maître d’œuvre et Yekaterina Oertel, responsable des représentations des femmes dans le projet, présenté à ce festival après une participation à la Compétition de Berlin en février, constitue, malgré ses scènes crues, une entrée en matière assez intrigante à ce projet à première vue insensé dont on peut douter qu’il atteigne malgré tout, après l’accueil inégal de l’installation partenaire à Paris début 2019, la qualité du Heimat d’Edgar Reitz dont la première année fut présentée en rafale à ce même FNC en 1984.
Des vies dans le siècle
Une religieuse orthodoxe russe loue une grande salle de spectacle à une date spécifique. Celle-ci est le dix-septième anniversaire de la prise d’otages du 23 au 26 octobre 2002 au théâtre Doubrovka de Moscou par un commando islamiste tchétchène. Dans Conference / Konferentsya, le Russe Ivan Tverdovsky s’attaque à cet épisode traumatisant en intégrant un conflit familial impliquant Natalya la religieuse dans cette prise de parole d’un petit nombre de survivants venus témoigner in situ des divers moments de cette soirée fatidique. En plaçant des mannequins gonflables, anonymes, de trois couleurs déterminées par leurs participations, éparpillés dans cette grande salle et non loin des témoins, le cinéaste en rend plus visible le déroulement. La caméra de Fedor Glazachev alterne les plans de groupe et les gros plans dans ce vaste lieu tout en cadrant au plus serré dans les immeubles qui abritent les protagonistes. La diversité des points de vue de ces personnes unies par un moment charnière de leurs vies rend audible le nécessaire devoir de mémoire que les autorités ont malgré tout freiné de diverses manières.
Un homme grand, mince, en forme malgré son âge certain, avance sous le brûlant soleil du Sud-Ouest des États-Unis. La prise de vues rappelle celle d’une séquence de Paris, Texas et Wim Wenders, à plusieurs moments de ce portrait, arpente des lieux personnels de mémoire pour s’en réimprégner avec ou sans appareil photo. Le caractère complexe de ce cinéaste se dévoile ainsi dans ces lieux, au contact de son ami Werner Herzog et dans des moments d’entrevue dans lesquelles il revient sur divers tournages faits avec un scénario minuscule et où funambule, il réussissait à faire en sorte que l’équipe soudée le suive, l’épaule dans cette aventure qui aurait pu être casse-cou ou brise-carrière. Plusieurs des témoignages extérieurs rajoutent peu à Wim Wenders, Desperado mais le regard de ces réalisateurs Eric Friedler et Campino constitue une belle portée d’entrée pour voir ou revoir des films comme L’ami américain ou Hammet, spécialement à la lumière des témoignages contrastés de Wenders et Coppola.
Le Prix du meilleur film canadien a été remis avec raison à Mike Hoolbloom pour son portrait amical de Judy Rebick, l’activiste, journaliste et auteure féministe canadienne. Judy Versus Capitalism décline en six chapitres les relations de cette pasionaria avec les autres. Le montage virevoltant, où les surimpressions complètent les films de famille ou les moments captés par le réalisateur, permet de donner écho à ces discours de Judy qui scandent le déploiement de cette courte biographie d’une battante aux combats successifs en faveur de la justice sociale.
D’autres films très différents tels Topside de Logan George et Celine Held ou Lúa vermella de Lois Patiño et Kill It and Leave this Town de Mariusz Wilcynski (voir ici.)sont encore visibles sur le site du FNC jusqu’au 31 octobre. Reviendront-ils plus tard ailleurs, je ne le sais.