Festival international du film d’animation d’Annecy I

ÉVÈNEMENT
Animation-Annecy

Première partie

Compétition officielle

texte
Luc Chaput

Comme beaucoup de manifestations artistiques durant cette première partie d’année, le Festival international du film d’animation d’Annecy, (FICAA ?), fondé en 1960 par Pierre Barbin et le plus important au monde, s’est transformé en version virtuelle à une vitesse inimaginable, offrant un grand accès à sa programmation au public international pour 15 euros. Au menu, de nombreuses conférences et des rencontres sur son site YouTube, le célèbre MIFA (Marché international du film d’animation) où j’ai constaté que plusieurs activités se déroulaient plutôt en anglais.

Ayant reçu l’accréditation journaliste, j’ai pu visionner l’essentiel des compétitions et des autres sections. Celle de WIP (Work in Progress) permet étant donné la lenteur prise dans la production et la réalisation de certaines œuvres de faire ainsi le point à une étape plus ou moins avancée de sa réalisation. Les contraintes de sorties ultérieures des longs métrages en salle ont aussi amené le festival à offrir cette année une version WIP de certains films dans les deux compétitions Officielle et Contrechamp.

Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary

C’est ainsi que je n’ai pu voir que la version courte de présentation du long métrage gagnant de Rémi Chayé, Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary. Après Tout en haut du monde qui avait remporté le prix du public pour un long métrage en 2015 à ce festival et retrouvant les mêmes qualités d’ancrage historique et de souffle épique, Chayé et son équipe nous présentent cette bio d’une enfant fonceuse et déterminée, devenue une personnalité de la conquête de l’Ouest américain et qui fut l’objet central ou important de plusieurs longs métrages dont celui de 1936, The Plainsman (Une aventure de Buffalo Bill), de Cecil B. DeMille.  Le film a séduit le jury et fera, peut-on supposer, la joie des spectateurs lors de sa sortie en France à l’automne et peut-être ensuite en avant-première aux Sommets à Montréal.

The Nose or Conspiracy of Mavericks

Parmi les autres longs de la compétition officielle, The Nose or Conspiracy of Mavericks (Nos ili zagovor netakikh) de l’octogénaire russe Andrey Khrzhanovsky méritait assurément le prix du jury et a de plus remporté celui de la FIPRESCI. Cette adaptation de la nouvelle de Gogol sert de point de départ à une exploration complexe des relations entre pouvoir et artistes dans l’URSS stalinienne. La musique de l’opéra par Dimitri Chostakovitch est employée magistralement comme soutien de l’intrigue dans sa représentation théâtrale. Le réalisateur met également en scène une œuvre en train de se faire puisque des jeunes animateurs, peut-être étudiants à son école-studio Shar, sont vus en train de travailler à certains moments. Tout l’aréopage stalinien est aussi critiqué dans certains épisodes dont celui, narré par Boulgakov, satirique et révélateur des bottes. La chape de plomb que le réalisme socialiste amena également en musique est graduellement mise en place par les accusations des médias officiels puis les diatribes lors de congrès du parti. L’animation est foisonnante à la hauteur de son sujet utilisant photos, films d’archives pour ce voyage spatio-temporel dans une époque qui n’est peut-être pas si éloignée. Ainsi peut-on estimer que le Nez, engoncé dans son uniforme chamarré, pourrait être Poutine, auparavant dirigeant à Leningrad.

Ginger’s Tale de Konstantin Shchekin, l’autre long russe en compétition, n’était qu’une réutilisation des codes habituels des contes dans la description des aventures d’une jeune fille rousse délurée dans une ville provinciale où sévit une aristocrate cousine des distinguées marâtres et rivales de ces fictions éducatrices. L’acolyte de cette âme damnée est un inventeur de machines bizarroïdes à l’évolution incertaine dans une animation assez classique où plusieurs gags tombent à plat. Déjà remarqué au dernier festival de Berlin, Kill It and Leave this Town du réalisateur polonais Mariusz Wilcynski s’est mérité une Mention du jury. Fruit d’un travail personnel de longue haleine, les papiers dessinés filmés gardent souvent d’ailleurs les traces du temps avec ces plastiques collants apparents. Mariusz revisite sa vie, sa famille dans un dessin heurté où des lumières rouges ou blanches percent la toile. Le réalisateur devient un géant nageant dans la mer près de bateaux dans une séquence rappelant de manière plus désespérée cet autre ode au passé, Amarcord de Fellini. Le périple dans les méandres mémoriels est disjoncté comme lorsque deux souvenirs se superposent, se confondent ou se contredisent. Le cinéaste rend ainsi un vibrant hommage à sa famille dysfonctionnelle et à son ami musicien Tadeusz Nalepa dans un dessin sombre qui rappelle les moments désolants de son pays sous la dictature soviétique.

Kill It and Leave this Town

L’action endiablée, les sauts dans le vide et les déguisements multiples dans une animation virevoltante et surchargée de couleurs sont le fait de Lupin III The First de Takashi Yamazaki. Les extraits vus dans le cadre de cette compétition nous permettent d’espérer un retour en force en animation 3D de ce personnage, petit-fils improbable du héros de Maurice Leblanc. Étant donné sa nationalité japonaise, le festival Fantasia, déjà prévu en ligne, serait un lieu propice à la première nord-américaine de ce film puisqu’il accueillait dans une de ses premières éditions Le Château de Cagliostro (Rupan sansei: Kariosutoro no shiro), premier long métrage en 1979 du célèbre Hayao Miyazaki d’après les mangas de Monkey Punch.

Dans un autre registre et dans une autre section, Zero Impunity des Français Nicolas Blies et Stéphane Hueber-Blies montrait la puissance évocatrice de l’animation pour traiter des enjeux difficiles. Des séquences animées soutiennent les propos de journalistes d’enquête qui témoignent de la généralisation de l’emploi du viol comme arme de guerre dans divers conflits plus ou moins récents. Certains moments sont à la limite de l’horreur mais suggérés, et des personnes-ressources ou des témoins sont montrés en grand format sur des murs de certaines villes afin d’interpeller les passants. La dernière partie constitue un réquisitoire implacable sur l’impossibilité de l’ONU de vraiment régler ses problèmes judiciaires internes. Voilà aussi comment le cinéma d’animation rend compte de notre monde contemporain.